jeudi 26 avril 2012

Victimes du second empire.


14 étoiles: pour chacune des victimes dont le nom est gravé sur le socle du Monument. Inauguré le 24 juin 1989, il a été sculpté par Victor Caniato.
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VICTIMES DES COMPAGNIES DES MINES ET DE L’EMPIRE
TOMBÉES LE 16 JUIN 1869 AU BRÛLÉ

• Marguerite Basson 16 mois • Rose Rival 49 ans • Barthélémy Revol 38 ans • Femme Revol 35 ans • Claude Soulas 19 ans • Joseph Françon 19 ans • Pierre Valère 21 ans • Jacques Fanget • 25 ans • Simon Chatagnon • 27 ans • Antoine Paule 27 ans • Claude Clémençon 27 ans • Antoine Gourdon 38 ans • Michel Guineton 37 ans • Claude Georget 68 ans


Les nombreux promeneurs qui empruntent le coquet chemin d’enceinte du plan d’eau du Gua le savent-ils ? Sur le plateau des Forges, situé juste au-dessus, 17 ouvriers en grève sont morts, tombés sous les balles des militaires, le vendredi 8 octobre 1869, en milieu d’après-midi.



En cette fin d’année 1869, un lourd climat social enveloppait le Bassin où forges et mines traversaient l’une de leurs plus grandes crises. Raison majeure de ce vent de fronde ponctué par des arrêts de travail : les salaires trop bas. L’autre source de conflits permanents émanait de la rivalité entre mineurs et forgerons. Les premiers, pénalisés sur leurs salaires devant le refus des forgerons d’employer un combustible de basse qualité.

Les salaires arrivaient, dit-on, à la limite extrême des besoins vitaux. La misère s’installait devant chaque porte, dénoncée par les rapports confidentiels de police. La grève, reconnue comme un droit depuis 1864, était dans l’air. Le mercredi 6 octobre 1869, une cinquantaine de « gueules noires » se rendent aux « grands bureaux » afin de renouveler leur demande de renvoi d’un chef de poste. Doléance refusée. Le lendemain jeudi 7 octobre, la grève s’est généralisée, 1 200 mineurs sont sur le carreau.

Devant les menaces proférées, Lardy, le directeur de la régie d’Aubin, lance (par télégramme) l’appel suivant au préfet : « Les mineurs ont envahi les forges du Gua (qui n’étaient pas en grève), ils veulent les arrêter. Nous sommes débordés, donnez-nous protection ».

Dehors, la foule surexcitée assiège, malgré la résistance des gendarmes, les « grands bureaux ». Tissot, l’ingénieur en chef, est bousculé, frappé, puis se rend à la foule déchaînée. « Au bassin, à l’eau ! », entend-on parmi les grévistes. Mais au portail d’entrée de l’usine, 70 soldats arrivent en courant de la gare, accompagnés du préfet.


Ils délivrent l’ingénieur et obligent les grévistes à se disperser. Arrive le jour du drame, vendredi 8 octobre. Malgré la troupe forte de 150 soldats, les attroupements se reforment. Le télégramme du préfet, resté sur le site, via le ministère de l’Intérieur, ne laisse planer aucun doute. « Avec les hommes dont je dispose, je ne suis pas en mesure de procéder à des arrestations sans effusions de sang », analyse le préfet, en réclamant de toute urgence des renforts.

Pendant ce temps, les mineurs, bien décidés à contraindre les forges et ateliers à la grève, obtiennent gain de cause. Malgré les appels incessants au calme, les autorités se rendent à l’évidence, « tout est inutile, faites ce que vous voudrez ».

à 15 heures, les forges sont envahies, 1 400 personnes repoussent les forces armées dans leurs ultimes retranchements. La grève vire à l’émeute. Devant les tentatives de désarmement de la troupe, les baïonnettes blessent des manifestants.

La poussée reprend de plus belle, des cailloux, des fragments de fonte, des boulons, pleuvent sur la troupe affolée. Soudain, le commandement tombe : « Défendez-vous, utilisez vos armes », hurle l’officier. Il est 15 h 20, un coup de feu claque, suivi de deux autres puis par deux décharges collectives.

La mort était passée. 14 corps sans vie restent étendus. Parmi eux, un enfant de 7 ans et deux femmes. 22 blessés, dont 3 ne survivront pas, seront soignés à l’hôpital du Gua. Quelques secondes auront suffi pour faire 17 morts et 41 orphelins.

On parlera longtemps soldats de ce " fait d’arme "…

C'est ce que l’Histoire a retenu sous le nom pudique de « fusillade du Brûlé ». Joseph Sanguedolce est plus tranchant dans Parti pris pour la vie ; il parle de « massacre ». Ce « fait d’arme » s’est passé à la Ricamarie un jour lointain, le 16 juin 1869 quand le feu des soldats faucha 14 Ricamandois, dont une femme et une gamine de 16 mois.

Et en effet, on a parlé longtemps du Brûlé. Lorsque le 3 mai 1891 la chambre des Députés fut secouée par l’affaire de la fusillade de Fourmies qui, deux jours auparavant, avait causé la mort de neuf grévistes (dont quatre jeunes femmes et un enfant), le socialiste Dumay invectiva le ministre de l’Intérieur Constans : " Vous porterez toute votre vie le stigmate de Fourmies, comme l’Empire porte le stigmate de La Ricamarie."


Il se dit aussi que Zola s’est inspiré de la fusillade du Brûlé pour écrire celle de Germinal. Lorsque le puits Devillaine fut comblé en 1964, Le Monde publia un article intitulé « Le puits de Germinal est comblé ». Il est à noter que la ville d’Aubin, meurtrie en 1869 également par un exploit militaire de même nature, dispute à La Ricamarie l’influence sur le chef-d’œuvre. La fusillade d’Aubin pourtant, bien que plus meurtrière (17 morts), eut lieu après celle de La Ricamarie et ne bénéficia pas - comme on dirait aujourd’hui - de la même « couverture médiatique ». Par ailleurs, des comportements des protagonistes du Brûlé, rapportés notamment par le capitaine Gausserand, ressemblent beaucoup à certaines scènes de Germinal et on retrouve au fil des pages un personnage nommé la Brûlé. Petit indice, aussi ténu soit-il, qui joue encore en faveur de l’hypothèse ricamandoise :
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« Mais il y eut dans la foule une longue secousse, et une vieille femme déboula. C'était la Brûlé, effrayante de maigreur, le cou et les bras à l'air, accourue d'un tel galop, que des mèches de cheveux gris l'aveuglaient.

– Ah ! nom de Dieu, j'en suis ! balbutiait-elle, l'haleine coupée. Ce vendu de Pierron qui m'avait enfermée dans la cave !

Et, sans attendre, elle tomba sur l'armée, la bouche noire, vomissant l'injure.

– Tas de canailles ! tas de crapules ! ça lèche les bottes de ses supérieurs, ça n'a de courage que contre le pauvre monde !

(…)« La Brûlé alors plante tout le paquet au bout de son bâton; et, le portant en l'air, le promenant ainsi qu'un drapeau, elle le lança sur la route, suivie de la débandade hurlante des femmes. Des gouttes de sang pleuvaient. »



La grève de 1869 inspirera à Victor Hugo son "Ode à la misère".

Les vers du poète sont plus précis et plus percutants que de longues analyses, les voici :

" - Quel âge as-tu ? - Seize ans. - De quel pays es-tu ?

 D’Aubin. - N’est-ce pas là, dis-moi, qu’on s’est battu ?

 On ne s’est pas battu, l’on a tué. - La mine

Prospérait. - Quel était son produit ? - La famine.

 Oui, je sais, le mineur vit sous terre, et n’a rien.

Avec la nuit de plus, il est galérien.

Mais toi, faisais-tu donc ce travail, jeune fille ? -

 Avec tout mon village et toute ma famille,

Oui. Pour chaque hottée on me donnait un sou.

Mon grand-père était mort, tué du feu grisou.

Mon petit frère était boiteux d’un coup de pierre.

Nous étions tous mineurs, -lui, mon père, ma mère,

Moi. L’ouvrage était dur, le chef n’était pas bon.

Comme on manquait de pain, on mâchait du charbon.

Aussi, vous le voyez, monsieur, je suis très maigre ;

Ce qui me fait du tort - Le mineur, c’est le nègre.

Hélas, oui ! - Dans la mine on descend, on descend.

On travaille à genoux dans le puits. C’est glissant.

Il pleut, quoiqu’on n’ait pas de ciel. On est sous l’arche

D’un caveau bas, et tant qu’on peut marcher, on marche ;

Après on rampe ; on est dans une eau noire ; il faut

Étayer le plafond, s’il a quelque défaut ;

La mort fait un grand bruit quand tout à coup elle entre ;

C’est comme le tonnerre. On se couche à plat ventre.

Ceux qui ne sont pas morts se relèvent. Pas d’air.

Chaque sape est un trou dont un homme est le ver.

Quand la veine est en long, c’est bien ;quand elle est droite,

Alors la tâche est rude et la sape est étroite :

On sue, on gèle, on tousse ; on a chaud, on a froid.

On n’est pas sûr si c’est vivant tout ce qu’on voit.

Sitôt qu’on est sous terre on devient des fantômes.

 Les pauvres paysans qui vivent sous les chaumes

Respirent du moins l’air des cieux. - On étouffait.

 Pourquoi ne pas vous plaindre aussi ? - Nous l’avons fait.

Nous avons demandé, ne croyant pas déplaire,

Un peu moins de travail, un peu plus de salaire.

 Et l’on vous a donné, quoi ? - Des coups de fusil.

 Je m’en souviens, le maître a froncé le sourcil.

 Mon père est mort frappé d’une balle. - Et ta mère ?

 Folle. - Et tu n’as plus rien ? - Si. J’ai mon petit frère.

Il est infirme..."

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