jeudi 6 mars 2014

Les partisans dans l'Oural, la Sibérie et l'Extrême-Orient pendant la guerre civile russe.


Les partisans dans l'Oural, la Sibérie et l'Extrême-Orient pendant la guerre civile russe.

Les partisans dans l'Oural, la Sibérie et l'Extrême-Orient sont apparus dès l'été 1918. Après la révolte des tchèques, beaucoup de gardes rouges se sont en effet retrouvés coupés de leurs lignes. Isolés, parfois vaincus, ces unités avaient néanmoins l’espace avec eux. La tactique de la guérilla s’imposait donc, tant par survie que par nécessité militaire. A la fin de 1918 - début 1919 à Omsk et dans d’autres villes, des révoltes d’ouvriers mobilisés par l'armée de Koltchak avaient éclatés avant d’être brutalement réprimée. D'importantes forces de partisans ont donc émergés dans l'Oural, comptant parfois plus de 1000 hommes par unités.

Les zones contrôlées par les partisans le long du chemin de fer sibérien pendant la guerre civile russe.

Des groupes encore plus nombreux existèrent jusqu’à former des petites républiques soviétiques de partisans. Elles organisaient le harcèlement des arrières de Koltchak et du trafic du chemin de fer de Sibérie. Si bien qu’à l’automne 1919, les communications des armées blanches étaient totalement désorganisées. En outre, bien avant que l’armée rouge n’arrive, les partisans avaient chassés les blancs de régions entières. Dans la région du lac Baïkal et plus à l'est, la lutte fut particulièrement dure contre les japonais et les troupes de l’ataman Semenov.


Le nombre total de partisans en Sibérie et en Extrême-Orient est estimé à environ 30 000 hommes voir jusqu’à 100 000 hommes selon les périodes. Essentiellement paysans, les partisans n’hésitaient pas à coordonner leurs actions avec les grèves, les sabotages et parfois les insurrections des villes. C’est un fait qu’en Sibérie, la lutte des partisans a largement été déterminée par les conditions socio-économiques et géographiques de cette région immense. En Extrême-Orient  la lutte s’est  d’avantage définie par une combinaison entre la lutte des classes et des impératifs de libération nationale.

Partisans sibériens.

Partisans sibériens.

Ces partisans sibériens ou d’Extrême-Orient n’étaient pas tous d’inspirations bolcheviks. Certaines unités étaient gagnés par les thèses anarchistes, quand d’autres ne combattaient que parce qu’elles refusaient que des étrangers ne foulent leur sol (tchèques, japonais, américains etc…) En général, les villages élisaient chacun leurs représentants qui se rassemblaient en congrès. Ce dernier organisait la conscription des hommes de 18 à 55 ans, la réquisition des chevaux, des ateliers de vêtements, de munitions et des ateliers de réparations d’armes. Ensuite la même formation de partisans se divisait en infanterie, cavalerie et même artillerie quand elle le pouvait. Signalons que les bolcheviks redoublèrent d’efforts pour que ces unités soient encadrées et puissent afficher une dénomination militaire digne de ce nom (bataillons, régiments et même divisions). Pour se faire reconnaître les partisans bolcheviks épinglaient ou cousaient sur leurs coiffures des bandes rouges, portaient des brassards de la même couleur. Les drapeaux avec le nom de l’unité ou le slogan « Tout le pouvoir aux soviets ! » existèrent aussi dans certaines formations.

Partisans bolcheviks de Sibérie.

1922, funérailles d'un chef de détachement de partisans.


Au début, les partisans n’étaient souvent armés que de fourches, de couteaux, de bâtons, de haches et n’arrivaient qu’avec peine à rassembler des fusils de chasses d’un autre siècle, à silex ou à pistons. En pillant des vieux arsenaux, ils récupèrent en outre des piques et des pièces d’artilleries de petits calibres (type couleuvrine) datant parfois du XVIIIème ou du XVIIème siècle. 




Au fur et à mesure des combats (les attaques de trains ont bel et bien existé), les partisans s’armèrent de fusils modernes, de grenades, d’armes de poing et de mitrailleuses pris sur des cadavres des soldats blancs. Mais cela ne doit pas faire oublier à quel point l’armement était disparate et l’approvisionnement en munitions difficile.

Partisans de la province de Tomsk en 1919, équipés de fusils de diverses origines.


Partisans sibériens.

Partisans sibériens.


Gabriel Shevchenko, commandant un détachement de partisans dans la région de Shkotovo contre les troupes alliées et les russes blancs en avril 1919. Sa tête était mise à prix par les japonais.


Partisans sibériens. Fusil mitrailleur lewis, pistolet browning et revolvers Nagant.

Partisans sibériens.

Partisan d'Extrême-Orient.

Dans certaines régions peu boisées on utilisait des conduites d'eau pour fabriquer des petits canons. Dans les régions forestières, c’était le bois qui était mis à contribution afin de réaliser des pièces d’artilleries artisanales dont le canon était sculpté à partir d'un tronc d’arbre. Ces armes qui faisaient plus de bruits et de fumées qu’autre chose, n’en effrayait pas moins les blancs qui croyaient à des attaques au gaz toxique. Les cartouches artisanales pour fusils faisaient elles aussi des bruits terribles qui mettaient mal à l’aise les adversaires. 















Type de canon artisanal employés par des partisans sibériens. 

On fabriquait des fusils et des étranges pistolets. On sciait aussi le canon de certains fusils à culasse afin de mieux les dissimuler sous les blouses ou les larges mentaux. Les explosifs pour attaquer les trains et les voies ferrées étaient soit pris dans les nombreuses mines ou fabriqués par des mains plus ou moins expertes. Ainsi, lors d’attaques prévues sur des trains, il arriva fréquemment que les charges n’explosaient pas. Les partisans étaient alors bons pour replacer une charge plus efficace et patienter plusieurs jours de suite, dans les conditions extrêmes qu’on imagine.
Fusil (un martini-henry anglais semble-t6il) et carabine(winchester) modifiés par les partisans sibériens.







Un partisan sibérien avec un fusil de fabrication artisanale.




Moule à balles de partisans sibériens.

Piques de partisans sibériens.

mardi 4 mars 2014

LE CAPITAINE COMTE CHARLES DE BEAUFORT - Ou l’histoire d'un "traître" qui n'en était pas un...



LE CAPITAINE COMTE CHARLES DE BEAUFORT - Ou l’histoire d'un "traître" qui n'en était pas un...

Le comte Charles de Beaufort est le cousin d'Edouard Moreau (du comité central). Par leurs mères ils appartiennent tous deux à une vieille famille champenoise, celle des Bauvière qui porte « d’argent, à quatre fasces de gueules ». Parmi leurs ancêtres, un directeur du Dépôt des mendicités de la Marne, un capitaine aux gardes du corps du Roi, un capitaine de grenadiers, chevalier de Saint-Louis.

La guerre venue, les deux cousins s’engagent dans la garde nationale. Edouard Moreau y est simple soldat alors que Charles de Beaufort est rapidement élu capitaine de la 6ème compagnie (puis de la 3ème compagnie de guerre) du 183ème bataillon (IVème arr), grâce à ses antécédents militaires. Tous deux participent furtivement à la bataille de Champigny le 2 décembre 1870 et plus activement à la sortie sur Buzenval du 19 janvier 1871. Edouard Moreau sera d’ailleurs proposé pour la croix de la légion d’honneur qu’il refusera.

Pour la politique, le comte de Beaufort s’en remet entièrement à son cousin. C’est en effet ce dernier qui une fois la Commune installée, fait nommer Beaufort au ministère de la guerre, en tant officier d’état-major du général blanquiste Eudes. Des mauvaises langues ont d’ailleurs prétendus que la femme du général n’aurait pas été insensible aux charmes du jeune comte. Ce sont les mêmes qui se serviront de ces dires pour expliquer la fin dramatique de Beaufort… la jalousie de Eudes…on nage en plein roman.

Au ministère de la guerre, le comte aux aiguillettes sert sous les ordres de Cluseret et rencontre un autre ancien militaire, ancien camarade de régiment, Louis Barron. Cluseret qui sera toujours en civil sous la Commune (et non en uniforme nordiste comme on le prétend) n’approuve pas la tenue fantaisiste de Beaufort. Mais il me ménage sachant que son cousin est un membre influent du Comité Central.

Sous Rossel, Charles de Beaufort est maintenu dans ses fonctions d’aide de camp du délégué à la guerre. Si les taches administratives l’absorbent, Beaufort se rend souvent sur les lignes et ne néglige pas la formation d’unités combattantes ou l’unification d’unités disparates.

Le samedi 20 mai, se passe un événement qui va être lourd de conséquences pour le destin du comte de Beaufort. Rentrant au ministère après un repas un peu trop arrosé, le capitaine avait eu une vive altercation avec un factionnaire du 66ème bataillon et avait voulu passer sans donner le mot d’ordre. Résultat : le factionnaire appelle « aux armes » et Beaufort est désarmé. Un commandant intervient et met fin à l’incident. Beaufort, humilié et vindicatif, se retire en prononçant cette menace malheureuse : « Voilà un bataillon que je purgerai ! »

Le dimanche 21 mai, le ministère de la guerre ni l’entrée des Versaillais dans Paris. Le comité central n’est pas rassuré pour autant et Edouard Moreau envoie son cousin à la porte Maillot qui affirme n’avoir rien vu. Rien de plus vrai puisque les tirailleurs Versaillais n’atteindront ce point qu’à 5h et demie du matin après avoir longé les remparts. C’est donc à tort et sans aucune preuve que Louise Michel accusera Beaufort de trahison dans ses mémoires. Du 22 au 24 mai, Beaufort continue sa mission d’estafette entre les différents points de résistance. Rejoignant péniblement la mairie du XIème arrondissement, où quelques élus de la Commune tentent de coordonner la résistance, Beaufort est reconnu par des gardes du 66ème et immédiatement arrêté.

Que s’est-il passé ?

La veille ou l’avant-veille, un ordre du ministère de la guerre avait envoyé le 66ème bataillon pour défendre la Madeleine, rue Caumartin. Accueilli par le feu nourri des Versaillais, 60 hommes sont mis hors de combat alors que d’autres sont fusillés séance tenante quasiment sous les yeux des survivants qui se replient en proclamant qu’on les a envoyés à la boucherie.

Les fédérés, exaspérés par les massacre des versaillais, établissent une relation de cause à effet entre la menace de Beaufort et le coup dur de la Madeleine. Et c’est dans ce climat que le capitaine de Beaufort est durement appréhendé devant la maire du XIème arr. Entouré par la foule, on le traite de noble, on l’accuse d’avoir livré la porte de Vanves et surtout on lui rappelle ses paroles du 20 mai, d’avoir voulu « purger » le bataillon. La foule demande sa mort. Beaufort est poussé dans une maison du boulevard Voltaire, qui tient lieu d’état-major au 66ème. Il montre ses papiers qui prouvent qu’il est un partisan de la Commune. Une cour martiale se tient pendant que dehors, les cris hostiles fusent. Delescluze et Mortier font tout leur possible pour sauver le capitaine. Afin de calmer les esprits, la cour martiale décide que Beaufort soit dégradé, qu’on lui donne un fusil pour aller combattre. Beaufort, très brave, accepte volontiers cette solution. Sauf que la foule n’est pas satisfaite, elle menace de fusiller les membres de la cour martiale, le général Eudes qui s’interpose. La foule crie vengeance. La cantinière Lachaise, qui la première avait reconnu Beaufort quelques heures avant et qui est fâcheusement impressionnée par le tour des événements, supplie ses camarades de renoncer à la vengeance. C’est peine perdue et tous ceux qui tentent de s’interposer son mis en joue par les forcenés.

Sur ces entrefaites, 3 ou 4 hommes vêtus en marins et commandés par un officier en uniforme vert à fourrure d’astrakan et brandebourgs, s’emparent du prisonnier. Beaufort a la visage tuméfié, l’uniforme couvert de boue et de crachats, il est traîné sur les genoux. Il veut parler, faire son testament et supplie : « tuez-moi, ne me faites pas souffrir inutilement ! » on le transporte sur un terrain vague au coin de la rue Parmentier et de la rue de la Roquette où il est encore sauvagement brutalisé. Deux détonations retentissent. C’est fini ou presque, car le visage de Beaufort est ensuite horriblement mutilé.

Beaufort a ensuite été considéré comme un espion dans le milieu des réfugiés communards. On l’a confondu avec un homonyme, le comte Henry de Beaufort, secrétaire à la société française de secours aux blessés, qui a pendant la Commune entretenu des intelligences avec Versailles. On a Sali sa mémoire en l’accusant de toutes sortes de choses plus fantaisistes les unes que les autres. Mais l’accusation post-Commune repose principalement sur une lettre attribuée à Beaufort et adressée au général Borel de l’armée de Versailles. Elle a été publiée dans le livre de Lissagaray. Il existe deux versions de cette étrange lettre dont l’écriture ne correspond pas à l’écriture de Beaufort. Il s’agit en fait d’un de ses nombreux faux destiné à discréditer la cause communaliste.

Même Maxime Ducamp lui-même n’osera pas faire de Beaufort un partisan de la réaction. Cependant, il reprend les thèses fantaisistes du communard Vésinier, voyant dans l’exécution du comte la vengeance d’un mari jaloux (Eudes). Stupidité entretenue par le délirant Vermersh qui osera écrire : « Cette catin [Madame Eudes] était la maîtresse de Beaufort. »
Comme si en compromettant une femme, on pouvait trouver une explication au drame.

Le comte Charles de Beaufort, s’il avait été un véritable espion, se serait fait reconnaître des Versaillais bien avant le 24 mai, date à laquelle il fut arrêté et assassiné. Cela fut le cas pour d’authentiques espions. Le 24 mai, la Commune était irrémédiablement vaincue. Il n’avait aucun intérêt à se jeter au cœur d’un des derniers foyers de résistance. Edouard Moreau, son cousin, membre du comité central qui finira fusiller par les Versaillais, avait tenté de le sauver en clamant : « sauvez-le, il est innocent, je le jure ! » Caroline Strauss, une amie des deux cousins dira plus tard également : « sa mort, tué par les siens, fut une abominable erreur… » Pour le communard Charles Gouhier qui avait vu Beaufort presque tous les jours pendant la Commune dira que Beaufort était « un jeune homme dévouée à la république et attachée à Moreau par ses idées très avancées. » Hector France, commandant de la caserne Lobau pendant la Commune dira : « Il m’a paru un vrai gentleman. Je n’ai jamais vu en lui l’étoffe d’un traître. »

Enfin Lepelletier dans son ouvrage sur la Commune porte un jugement sur Beaufort qui mérite d’être cité : « Sa bravoure, le dévouement qu’il montra pour la Commune doivent faire repousser l’accusation de trahison, propagée par une plèbe furieuse où les mégères dominaient, foule crédule et surexcitée, que la fusillade de plus en plus proche et le récit d’exécutions sommaires accompagnant la marche de l’armée victorieuse poussaient aux pires excès. Le malheureux comte de Beaufort fut surtout victime des apparences. Son nom, son titre, son élégance, ses manières hautaines semblent les causes principales de sa mort. »