mardi 18 novembre 2014

Il n'y a plus de bonheur - Baron von Ungern-Sternberg



Les hommes sont devenus avides, mesquins, menteurs, ils ont perdu la foi et le sens du vrai, il n'y a plus de rois, il n'y a plus de bonheur. Ils chercheront la mort sans la trouver; ils désireront mourir, mais la mort les fuira.

Baron Roman von Ungern-Sternberg



jeudi 9 octobre 2014

"La guerre des rues et des maisons" vu par le maréchal Bugeaud.


En mai 1871, lorsque l'armée de Versailles pénètre dans Paris, elle sait qu'elle va devoir faire face à des combats urbains et elle le craint. Si l'armée Versaillaises, héritière de celle du second empire et de la guerre franco-allemande n'est pas proprement préparée à ce genre de lutte, le corps des officiers généraux, vieux soldats de la Monarchie de Juillet, l'ont tous en tête.

En effet, le deuxième quart du XIXème siècle français a été marqué par les émeutes, les insurrections et les barricades à Paris en 1827, 1830, 1832, 1834, 1839, 1848 (février et juin), 1849 et 1851.


Les réflexions stratégiques sur ce sujet ont été rares. Outre celle du général Roguet, fort de son expérience lors de la révolte des Canuts à Lyon en 1831, qui publia en 1850 un ouvrage traitant des insurrections et des barricades, il existait celle du maréchal Bugeaud. Le maréchal Bugeaud avait été chargé de la répression de l'insurrection parisienne de 1834, au cours de laquelle eut lieu le massacre de la rue Transnonain, dénoncé par Daumier dans une lithographie célèbre, bien qu'il ait été absent de la rue à ce moment. Demeuré inédit de son vivant, ce traité de "la guerre des rues et des maisons" soulignait les difficultés de la lutte en zone urbaine, notamment à Paris, face à une insurrection populaire. En 1871, donc, conscient des risques qu'ils encouraient à affronter directement les insurgés, les généraux, avec l'aval du gouvernement, agiront avec lucidité et méthodes, appliquant les mêmes principes.

Bugeaud

Le manuscrit de Bugeaud est "reparu" en 1997, admirablement présenté et annoté par Maité Boussy. Il était tombé dans l'oubli depuis 150 ans. La réputation sulfureuse du "boucher" de la rue Transnonain fit que les "Burgraves" du parti de l'ordre subtilisèrent le texte (que Bugeaud destinait à chaque officier), propre à réactiver tous les lieux d'angoisse de la bourgeoisie de 1848: victoire surprise de Février ou massacre de Juin.


Et Maité Boussy de s'interroger sur cette particularité française qui fit que tant de généraux se trouvèrent confronter aux insurrections parisiennes (Duvivier, Bedeau) et/ou se lancèrent en politique... Bugeaud mais aussi Cavaignac, Lamoricière, Changarnier... et plus tard Mac Mahon et d'autres.

Elle note très justement: "A l'époque, toute épée était nécessairement politique parce qu'en ce premier XIXe siècle les coupures de 1814, 1815 et 1830 ont chaque fois obligé ceux que les fonctions dotent de quelques pouvoir de commandement à trancher vite... et si possible en conformité avec la raison du lendemain sans pouvoir toutefois faire oublier ou masquer les alliances et phobies de la veille à l'œuvre dans la recomposition des réseaux."

La troupe prend position en juin 1848

Avec minutie, Bugeaud analyse les différentes phases de la répression d'une émeute populaire, indiquant quelles positions doivent prendre les pouvoirs politique et militaire. Durant les prémices, il suggère d'agir avec discrétion et sans brutalité, afin d'éviter toute provocation. Quand éclate l'émeute, il propose de répondre par des moyens adaptés: occupation des maisons transformées en fortins, intervention rapide pour éviter la formation de barricades, attention prêtée à la fidélité des gardes nationaux, protection des principaux bâtiments de l'État, etc. L'offensive proprement dite est décrite en détail, exposant les techniques propres à la guérilla urbaine. 

Dès janvier 1848, le scrupuleux Bugeaud s'était enquis auprès du ministre de la Guerre d'un plan des points stratégiques dans Paris et vouloir les maîtriser par un investissement militaire constant de la rue, résume la situation. On passerait du poste de police aux fortins qui commanderaient axes et carrefours. A terme, la répartition des casernes selon Haussmann et la IIIème république n'est qu'une variante de ce projet.


Pour l'heure il préconisait de ne pas laisser la troupe au contact de l’émeute, poursuivre les opérations de nuit et dégager les barricades au pétard pour mieux les prendre latéralement par les maisons et ne progresser qu'au ras des murs avec protection du feu croisé des tirailleurs comme prudence élémentaire.

Auguste Blanqui, de sa prison et de sa minuscule écriture sur papier pelure a consigné en 1850: "Un M. d'Havrincourt est venu exposer la théorie stratégique de la guerre civile: il ne faut jamais laisser séjourner les troupes dans les foyers d'émeute. Elles s'y pervertissent au contact des factieux et refusent de mitrailler à l'heure de la répression."
Soit la même observation mais sa proposition est celle que le second empire adopta, consigné par Walter Benjamin dans son excellent Livre des Passages, Paris capitale du XIXe siècle: "Le véritable système, c'est la construction de citadelles dessinant les villes suspectes et toujours prêtes à les foudroyer. On y tient des soldats en garnison, à l'abri de la contagion populaire."


Si le traité de Bugeaud est en quelque sorte l'antithèse de ce que sera en 1866, "Instructions pour une prise d'armes" d'Auguste Blanqui, il préfigure sur bien des points "Etudes sur le combat" d'Ardant du Picq. Bugeaud, en Afrique du nord comme à Paris est un militaire pour qui le moral des troupes est un élément déterminant avant et pendant l'action.
Ainsi pour Bugeaud "la force morale joue le plus grand rôle dans toutes les guerres, mais surtout dans la guerre civile" et d'ajouter que "maintenir la confiance dans la garde nationale et dans l'armée est une chose capitale."

L'allusion à la garde nationale n'est pas anodine. Contrairement à une légende bien ancrée, la garde nationale est une force de première importance et d'avantage pour la contre-insurrection urbaine que pour les émeutiers. Il est maladroit de la juger par son comportement pendant le siège de 1870 ou la Commune, où la garde nationale se montra souvent médiocre car engagée en rase campagne. En juillet 1830, elle avait été dissoute et ne joua donc aucun rôle. En février 1848, elle avait été délaissée par le pouvoir qui ne pouvait compter que sur l'armée... démotivée. Elle laissa donc faire, se contentant de surveiller les éventuels pillages.

Garde nationale, officier de l'armée et garde mobile, les trois composantes des forces répressives en juin 1848.

Certes les gardes nationaux ont une discipline aléatoire et restent d'abord les hommes d'un quartier, d'un arrondissement et peuvent être très solidaire de l'opinion commune. Mais c'est là toute leur importance, déterminante, pour l'armée régulière qui ne peut s'engager contre l'émeute sans l'appui de la milice citoyenne. Tous les récits des insurrections sous Louis-Philippe signalent que la troupe est peu favorable à une confrontation avec le peuple, au contraire des gardes nationaux qui pour des raisons d'ordre public, sont motivés à ne pas laisser LEUR quartier, LEUR arrondissement à l'émeute.Dans une guerre civile à Paris, le soutien de la garde nationale est donc indispensable à l'armée, qu'elle doit éclairer et guider.

L'appui est cependant mutuel et Bugeaud de préciser :" Il faut que la garde nationale soit soutenue le plus promptement possible matériellement et moralement par les troupes de lignes qui à leur tour reçoivent de la garde nationale ce que j’appelle la sanction de leur conduite énergique contre les émeutiers."


Pour emporter une barricade, Bugeaud déconseille fortement le canon, "peu utile et quelque fois gênant", excepté contre les obstacles imposants (comme la barricade du Faubourg Saint-Antoine en juin 1848). Dans ce cas seulement, il préconise de charger les pièces à couvert et de les pousser à bras aussi rapidement que possible jusqu'au point où elles peuvent voir la maison ou la barricade qu'elles doivent battre.

Pour l'assaut proprement dit, Bugeaud conseille d'éviter d'aborder la barricade en colonne. Elle ne peut être aborder qu'en tirailleurs, 20, 30 ou 40 hommes au plus selon la longueur de la rue et avec un officier vigoureux à sa tête. En outre la troupe ne doit pas perdre de temps à tirailler inutilement contre les insurgés, pour la simple raison que "les défenseurs sont à couvert et que les assaillants sont vus des pieds à la tête".

La garde mobile à l'assaut d'une barricade en juin 1848. Selon Paul de Molènes, qui en faisait partie, la garde mobile fit grand usage de la baïonnette pendant les journées de juin. Sur cette aquarelle de Lacoste on peut voir la première vague de gardes mobiles qui a abordé la barricade en tirailleurs, suivi du reste de la troupe qui effectue la charge comme il se doit, le fusil sur l'épaule.

Bugeaud continue: "C'est en courant et les escaladant qu'on les enlèves [les barricades]. Quand on est est sur le sommet de la barricade, l'égalité matérielle est établie, mais la supériorité morale est du côté de l'assaillant parce qu'il a donnés à ses adversaires une haute idée de son courage, en bravant leurs feux et en franchissant l'obstacle.

Pour protéger l'assaut des coups de fusils partis des croisées des maisons de droite et de gauche, Bugeaud conseille de maintenir en arrière deux rangs de tirailleurs, avançant le long des maisons, des deux cotés donc. Pour se garer des projectiles, meuble ou pavés, que les insurgés laisseraient tomber, il faut raser les murailles.
L'assaut doit être rapide "parce qu'on a pas le temps devant soi comme dans la guerre ordinaire PUISQUE LA DURÉE DE LA LUTTE EST UN DANGER POLITIQUE."



mercredi 20 août 2014

Bibliographie conquête de l’Algérie.


Comme je n’ai pas mentionné mes sources pour la suite d'articles sur le soldat français de la conquête de l’Algérie, je vous livre une petite bibliographie personnelle et évidemment succincte vu le nombre d’ouvrages sur la période.

  •           Douze ans en Algérie 1830-1842 par le Docteur Jean-Pierre Bonnafont. Témoignage des plus intéressants d’un jeune chirurgien militaire, qui observe et note tout ce qu’il voit ou que lui racontent les blessés qui affluent à son ambulance. Ces souvenirs fourmillent de détails et d’anecdotes pittoresques depuis la prise d’Alger, puis Mascara en 1835, les deux expéditions de Constantine en 1836 et 1837, La Tafna où il fait partie de l’escorte du général Bugeaud lors de son entrevue avec Abd-el-Kader. En 1840, Bonnafont devenu chirurgien-major à la tête de l’ambulance active, voit  Blida, Cherchell, Médéa et Miliana. Partout, il note les détails de son existence, il observe les habitants et leurs coutumes. A noter qu’on y trouve un excellent récit emprunté à un autre officier de l’assaut de Constantine en 1837…



  •           Les deux sièges de Constantine par Ernest Mercier. Ouvrage incontournable sur les très dures expéditions de Constantine. C’est souvent un peu lyrique, héroïque à la manière des chroniques militaires de la deuxième moitié du XIXe siècle, toujours ce souci de présenter une image embellie, d’illustration, de défense et « responsable » de l’armée au combat. Cela reste néanmoins un bon récit.



  •           Les cahiers du sergent Walter  par Pierre Loevenbruck et Pierre Hellin. Récit apocryphe mais très bien documenté et illustré par Maurice Toussaint.



  •           Un soldat d’Afrique. Journal du sergent-major Roussier, du 12e de ligne (expédition de Kabylie : mai-juillet 1849), Carnet de la Sabretache, 1904, p. 46-62. Rare récit d’un fantassin là où on ne trouve que trop souvent des souvenirs d’officiers.



  •           La chasse à l’homme, guerres d’Algérie par le comte de Hérisson. Maurice d’Irisson, bien connu des amateurs du second empire, livre ici un récit sans concession de son expérience militaire en Afrique du nord.



  •           Mes Souvenirs François Charles du Barail. Le 1er tome de ses mémoires couvre allégrement les années de la conquête de l’Algérie, un grand classique.



  •           Sidi-Brahim par Paul Azan. L’ouvrage de référence sur cet épisode dramatique. Un excellent récit qui détaille le combat presque heure par heure tout en s’attardant sur le contexte, l’état d’esprit et les personnalités de ses acteurs (je pense à Montagnac…) A noter que l'édition de 1905 présente la retranscription de lettres et des rapports d'époque, non reproduites dans les éditions postérieures.



  •           Sidi-Brahim – notes et documents par Cl Guinard et Brunon. Bourré d’illustrations et de documents divers. Complète admirablement le précèdent.



  •           Zouaves et Turcos par François Bournand. Très bon historique de ces deux corps depuis leur création jusqu’à leurs plus belles campagnes.



  •            La Conquête de l'Algérie 1830-1871 par Pierre Montagnon. Un brin nostalgique de l’Algérie française (mais juste un brin), la somme la plus complète et surtout la plus abordable sur le sujet.



  •           L'expédition d'Alger 1830 par Henri Noguères. Extraordinaire livre racontant l’expédition de 1830 depuis des prémices jusqu’au changement de régime et au départ de Bourmont. En fait ce bouquin est une subtile compilation de lettres et de témoignages annoté par Henri Noguères et cela va du simple capitaine d’infanterie, au marin, diplomate, officier etc Un régal à lire !



  •           EXPOSITION INTERNATIONALE DE PARIS EN 1931 - LES ARMÉES FRANÇAISES D'OUTRE-MER, CONQUETE ET PACIFICATION DE L'ALGÉRIE par Paul Azan. Gros volume par l’historien inégalé pour cette période. Récit minutieux donc, riche en anecdote et en récits militaires. Comporte en outre des aquarelles du capitaine Maréchal en couleur.



  •           L’infanterie de ligne 1820-1870 des Carnets de la Sabretache.



  •           L’Expédition d’Afrique mai-juillet 1830 des Carnets de la Sabretache.



Je rajouterai à titre personnel deux titres moins connus, plus littéraires dans la forme et qui s’éloignent un tantinet du sujet puisqu’il s’agit plus de la période 1860 :

  •           Sous le burnous par Hector France. Traduit et édité en anglais sous le titre « Musk, hashish and blood », l’auteur futur communard avait servi comme officier dans un régiment de spahis en Algérie pendant dix ans. Il nous livre ces aventures de jeunesse sous formes de nouvelles parfois scabreuses, exotiques ou cruelles. A ne pas prendre au 1er degré. En bref, le côté obscur de l’orientalisme. Juste excellent !



  •           Aventures de guerre et de chasse. Souvenirs d'un spahis par Eugene Razoua. Dans la même veine que le précèdent bien que sorti plus de 20 ans avant. Même recette, un futur communard, sous-officier de Spahis et grand amateur d’absinthe devant l’éternel. à vingt ans, Eugène Razoua s'engage au 5ème chasseurs à cheval, à Vendôme, d'où il fut bientôt détaché à l'École de Saumur. Son attitude au 2 décembre le fait envoyer en disgrâce au 3éme spahis et il parcourt l'Algérie, de Guelma à Souk-Ahras et à Bône, fréquentant le plus possible les indigènes, dont il parle couramment la langue et qui lui inspirent une vive sympathie. « Ils sont mes frères, disait-il, et je leur prouverai bien, parbleu que je les aime ». Sous-officier à 24 ans, il est proposé pour la médaille militaire après une action d'éclat mais ne l'obtient que neuf ans plus tard, en 1863 ; le colonel Guérin de Waldenbach, qui, passé du 5ème chasseurs au 3ème spahis, était resté son chef, lui promet l’épaulette dans un avenir prochain mais Razoua est las de la vie militaire. Comme le livre d’Hector France, celui de Razaoua est aujourd’hui passablement « récupéré » par les professionnels de la repentance. Certes, Razoua déplorait les injustices dont étaient souvent victimes les musulmans et déplorait sincèrement de les avoir eu pour ennemis mais tant qu’il fut en Algérie, il ne cessa jamais de les combattre. Cette admiration pour l’ennemi ou pour la culture arabo-berbère d’Algérie, il n’est pas le seul à l’avoir éprouvé et si des atrocités sont narrées, elles sont le fait de toutes les guerres (surtout de guérilla) et non la responsabilité seule de l’armée française en Afrique du nord. Disons que ce discours passe mieux auprès de certains car Razoua (comme Hector France) a pour lui d’avoir été républicain et communard.


mardi 12 août 2014

L'armée française à la conquête de l'Algérie - V



Un cavalier hachem s’était présenté, quelques jours auparavant, pour entrer dans nos rangs, se prétendant persécuté par sa tribu et voulant s’en venger. Le général le prenait pour un traître et hésitait à l'admettre. Dans la charge, un cavalier ennemi ayant été tué, l’Arabe sauta à bas de son cheval, lui coupa la tête et vint agiter ses deux mains pleines de sang sous les yeux du général, en lui criant « Croiras-tu désormais à ma sincérité ? »


Général du Barail – Mes Souvenirs


Le soldat français en Algérie pendant la conquête.
Vème partie

La présence de la cavalerie est infime dans l’expédition de 1830 puisque l’effectif global se limite à trois escadrons : deux du 17e régiment de Chasseurs (dont un armé de lances, voir illustration) et un du 13e régiment de Chasseurs. Les 3 escadrons n'ont pas beaucoup à combattre depuis le débarquement jusqu'à la prise d'Alger, les combats se confinant à des tiraillades meurtrières et à de multiples escarmouches et petites charges à la baïonnette... pour l'infanterie exclusivement.

Dès 1831, un rapport provenant du bureau des opérations militaires, adressé au ministre de la Guerre, fait état de l’attachement de certains officiers du 17e à la branche aînée des Bourbons. L’affaire trouve son origine dans une déclaration publique d’un membre de l’état-major de Clauzel qui avait affirmé "que l’armée d’Afrique était toute carliste et que l’on portait des toasts à Charles X… et que dans le 17e régiment de Chasseurs plusieurs officiers ne se cachaient pas de cette opinion".
Après une enquête interne, Monsieur Passy, attaché au général Clauzel, accusé d’avoir tenu certains de ces propos, est convoqué par les autorités militaires pour répondre à ces accusations.

Les affirmations sur l’attachement de certains officiers aux Bourbons et à Charles X sont fondées mais il est excessif d’affirmer l’attachement de l’armée d’Afrique au carlisme. Ces faits traduisent avant tout un attachement personnel de certains officiers à la branche aînée. L’affirmation de cet attachement se produit dans un cadre de sociabilité précis, entre officiers de même grade, facilitant l’expression de convictions politiques.



Assez tôt, les régiments de l’armée française durent faire face aux actions menées par des cavaliers arabes organisés qui bénéficiaient d’une connaissance de la géographie leur conférant une mobilité accrue. Face à cette situation, la création d’une cavalerie légère s’imposait. C’est pour remédier aux attaques surprises facilitées par la vitesse des chevaux utilisés par les bédouins et pour leur manière de combattre que furent créés par l’ordonnance du 21 mars 1831, deux escadrons de chasseurs algériens dit aussi "chasseurs numides" ou plus justement "zouaves à cheval" car jumelés à la formation d’un bataillon de zouaves .

La planche de Boisselier nous montre à droite Guillaume Stanislas Marey-Monge qui avait servi successivement dans 3 régiments d’artillerie à cheval avant l’expédition d'Alger. En 1830, il est attaché à l'état-major du général de La Hitte, commandant l'artillerie du corps expéditionnaire. Le maréchal Clausel, « qui se connaissait en braves », chargea le capitaine Marey-Monge de former nos deux escadrons de chasseurs algériens. Il fut promu chef d'escadron provisoire de cavalerie, le 21 octobre 1830.


L’ordonnance de création permettait le recrutement de cavaliers indigènes à la condition que l’effectif de ces cavaliers ne soit pas supérieur à quarante cavaliers.
Si l’effectif des Chasseurs d’Afrique était jugé insuffisant, il était prévu d’y ajouter des cavaliers "colons" ou indigènes, en nombre indéterminé, appelés au service en cas de besoin exceptionnel et sur ordre du général, commandant l’armée d’Afrique. Ces cavaliers furent regroupés sous l’appellation de chasseurs spahis. Ils devaient se monter, s’équiper et s’armer par eux-mêmes. Ils sont à l’origine de la constitution des régiments de spahis. On en reparlera…


Ces deux escadrons formaient un effectif global de 330 hommes, composé de volontaires français ou étrangers de tous grades. Il est intéressant d’observer que les deux escadrons de chasseurs algériens étaient administrés, à l’origine, par l’infanterie.
Ce n’est qu’à partir du 17 novembre 1831 que les chasseurs algériens s’organisèrent en Chasseurs d’Afrique. L’ordonnance du roi prévoyait la création de deux régiments de cavalerie légère appelés Chasseurs d’Afrique. Le premier fut formé à Alger, le second à Oran.

Le 17e régiment de Chasseurs, qui avait participé à l’expédition de 1830, servit de vivier pour les cadres - officiers et sous-officiers - comme pour un certain nombre de cavaliers incorporés dans les deux régiments nouvellement organisés.

Le 1er régiment de chasseurs d’Afrique, créé en vertu d’une ordonnance du 17 novembre 1831. Ce régiment comprenait : 1° l’escadron des chasseurs algériens, 2° trois cents hommes tirés des régiments de France, 3° quarante enrôlés volontaires, 4° vingt hommes par escadron du 12 e chasseur (ancien 17e). D'abord formé à quatre escadrons, ce régiment prit tout de suite le service des avant-postes, service que l’on aurait pu raisonnablement exiger de trois régiments de même force. Sans vêtements, sans chaussures, au milieu de la pluie et de la boue, ces braves soldats montrèrent une discipline et une bonne volonté dignes de vieilles bandes. C’est qu’ils avaient un rude colonel, un vieux soldat de l’empire, M. de Schauenbourg.


La première tenue, d’inspiration très polonaise (la récente insurrection polonaise avait la sympathie de l'opinion française) était constituée d'un habit-capote très ample, et d'un czapska. Ce dernier est d'ailleurs assez éloigné des coiffeurs habituelles des lanciers français... silhouette courtaude, chapiteau penché vers l'avant... il se révélera surtout totalement inadapté au tempérament et à la vocation des chasseurs d’Afrique, plus proches des hussards ou dragons que des lanciers. Les régiments demandèrent son rejet dès son introduction! Un rapport du 24 mai 1834 contient une lettre du colonel Oudinot (2ème régiment) ainsi rédigée: "Le czapska ne convient pas en Afrique. La calotte de cuir noir qui emboîte la tête le rend extrêmement chaud [en même temps il s'agit d'une coiffure slave!] Les coins empêchent les hommes armés de fusils de mettre cette arme en bandoulière."
Ils reçurent le même armement que les chasseurs à cheval (pistolet an XIX, sabre an XIX de cavalerie légère ainsi que la lance pour certains dit lanciers-chasseurs (sur la planche ci-dessus, il s'agit d'un sapeur)





Cette tenue "polonaise" ne fut portée que peu de temps. Au niveau de la coiffe, l’élégant mais encombrant czapska  fur relégué en magasin et fit place à la casquette d'Afrique en 1833. Le czapska  n'en demeurait pas moins la coiffure d'ordonnance jusqu’en 1841. A cette date un rapport d'Oudinot, devenu lieutenant-général établit que "le czapsa réglementaire n'est en usage dans aucun des régiments de chasseurs d'Afrique". Le 24 février 1841, le comité de cavalerie en décidait la suppression.
En fait, dès 1832, les chasseurs d'Afrique avaient reçus une casquette à plateau d'allure très futuriste pour l'époque (voir illustration ci-dessous avec la casquette d'essai à droite). Bandeau bleu de ciel, plateau garance à soutaches bleu de ciel, visière ronde à dessous vert. Ce n'est que le 25 juillet 1833 qu'ils touchèrent le premier modèle officielle dit 1833. Plusieurs modèles se succéderont en 1840, 1842, 1847, 1858 et 1862.
De même, les hommes préférèrent porter la veste d'écurie en campagne, réservant la tunique pour la grande tenue. Enfin, les officiers portèrent conjointement la tunique à jupe et, comble du chic, des dolmans à brandebourgs.

Au lieu de la lance (plus gênante qu'utile et parfaitement inadaptée aux combats de cavalerie en Algérie) et du mousqueton de cavalerie légère, les chasseurs d'Afrique se virent équipés de fusils de dragons, une arme d’avantage en adéquation avec leur mission. 



Dans les premières années du régime de Juillet, deux réformes - menées successivement en 1831 et 1834 - restructurent l’arme. Comme nous l’avons vu, l’ordonnance du 19 février 1831 réorganise la composition des régiments en six escadrons afin d’accroître leur mobilité en temps de guerre. Ils étaient tous susceptibles d’être mobilisés en cas de guerre. En théorie, ces orientations donnent à la cavalerie une force numérique assez puissante pour passer facilement du temps de paix au temps de guerre. Très rapidement, ces choix sont remis en cause par la réforme de 1834 qui se traduit par la redéfinition des rôles distinctifs des escadrons. Dans la pratique, elle était à l’origine d’une division de chaque régiment en deux portions distinctes.


La première, active, comprenait quatre escadrons et un état-major auxquels s’ajoutait une fraction hors rang composée d’ouvriers de professions diverses. La seconde, de dépôt, était composée de deux escadrons auxquels s’ajoutaient un peloton hors rang et un état-major. Cette seconde portion alimentait la portion active en chevaux, en hommes et en matériels.
La réforme de 1834, par rapport à celle de 1831, entraîne une baisse accélérée des effectifs.

L’organisation de la cavalerie à la suite de la réforme de 1834 et les diminutions des budgets successifs entraînent directement une baisse du "complet organique" de la cavalerie par rapport aux "complets organiques" des autres armes, aboutissant à l’impossibilité pour les régiments de l’arme "de donner pour la guerre plus de deux escadrons sans être complètement désorganisés".
Le nombre d’escadrons est relevé après la création du 4e régiment de Chasseurs d’Afrique en 1839. L’ordonnance royale du 8 septembre 1841 prévoit que le corps des Chasseurs d’Afrique se compose de quatre régiments composés chacun de six escadrons.


Dès 1830, l’arme est chargée, quelquefois dans le cadre d’opérations menées en collaboration avec l’infanterie, de mener des opérations de force publique contre les populations indigènes. Ces missions, n’ayant pas toujours un caractère stratégique, concernent la protection des biens et des personnes. Ainsi, le 13 mars 1833, deux officiers du 3e régiment de Chasseurs d’Afrique, en collaboration avec un régiment d’infanterie, mettent en échec une opération menée par deux cents cavaliers arabes et destinée à s’emparer d’un parc à bestiaux.

Il faut observer que, dès les premières opérations de pacification, les autorités militaires comme les autorités civiles considèrent la cavalerie comme la seule arme capable, en raison de sa mobilité, de maintenir l’ordre à l’intérieur des terres comme l'affirmait le capitaine Tanski de la Légion Étrangère : "Dans les plaines, la cavalerie est l’arme principale ; la plupart du temps, elle tient seule la campagne".


C’est pour faire face à cette situation, qu’un corps de cavalerie indigène est progressivement mis en place. L’idée d’organiser une force publique spécifique composée d’indigènes, séparée des corps de Spahis, voit le jour dès 1831. Un rapport rédigé par le duc de Dalmatie, adressé au roi Louis-Philippe, témoigne des premières difficultés, notamment la localisation géographique du recrutement : "…Le recrutement parmi les indigènes n’offrit d’abord à l’armée d’occupation que des ressources fort limitées… Il était conscrit dans la province d’Alger dont nous ne possédions qu’une faible partie".


Le dey d'Alger, destitué lors de l’arrivée des Français, dispose de « Sibahis », turcs en grande majorité. Se trouvant sans emploi, ils se rangent en 1830 sous la bannière de Yusuf (Youssouf) qui se met au service de la France et en fait des troupes efficaces et redoutées, contribuant à la conquête de l’Algérie. Le mot, déformé par la prononciation française, devient Spahi.


Ce n’est qu’à partir de 1837 que le recrutement d’indigènes se développa à la suite de la création, par une ordonnance royale du 12 septembre 1836, d’un corps de cavalerie indigène, composé de quatre escadrons et appelé Spahis (réguliers).

Une double explication peut justifier ce développement. La première est liée à la conquête de la province d’Oran où, d’après le duc de Dalmatie, "les services militaires irréguliers reçurent un nouveau développement par l’adjonction de cavaliers auxiliaires, laissés à leur existence de tribu…". La seconde résulte de la prise en compte, de l’acceptation et de la reconnaissance de la présence française par les populations, facilitant le recrutement de cavaliers issus d’une part de la jeunesse des villes et d’autre part des anciennes milices turques.

Le chef d'escadron Legrand en 1840

À partir de 1841, une clarification est souhaitée par le gouverneur général afin que les spahis irréguliers formés sur différents points du territoire depuis 1830, auxquels vient s’ajouter la gendarmerie maure, constituent une cavalerie indigène assujettie à un service permanent. Elle devait être encadrée en majorité d’officiers et de sous-officiers français. L’avancement des indigènes permettait de reconnaître et de récompenser les services rendus. Cette "cavalerie indigène irrégulière" formait avec les corps de spahis réguliers un corps unique de cavaliers -ordonnance du 7 décembre 1841- dont l’effectif global comprenait vingt escadrons regroupant 4 000 hommes. Il faut préciser qu’après la première formation des escadrons, créés en exécution de l’ordonnance du 7 décembre 1841, aucun cavalier indigène n’est admis dans les escadrons de spahis, à l’exception de ceux qui souscrivent un engagement de trois ans.

Marey-Monge en colonel des Spahis réguliers

« À mon entrée au corps, les officiers portaient le costume turc, qu’ils ont échangés, trois ans plus tard, en 1842, contre une tenue française. Ce costume comportait la veste turque rouge, soutachée de noir, sur le gilet bleu de roi, la large culotte bleue, arrêtée aux genoux, la botte molle avec éperon vissé, le turban de fantaisie et le burnous rouge. C'était très joli, quand on avait de la ligne; de la désinvolture; mais quand on prenait du ventre, cela vous donnait tout de suite l'air d'un marchand de pastilles de la rue de Rivoli ».
Du Barail

Officier des Spahis en 1845.

La cavalerie représente une exception par rapport aux autres armes affectées en Algérie. Cette situation est à l’origine d’un débat qui se développe, au sein de l’état-major, dès 1840. En effet, à la différence des régiments d’infanterie, des batteries d’artillerie, des compagnies du génie ou même du train des équipages, les régiments de Chasseurs d’Afrique comme les Spahis sont considérés comme des régiments irréguliers, c’est à dire non reconnus comme constitutifs de l’arme à laquelle ils appartiennent.


En 1840, le Comité de l’infanterie et de la cavalerie, désireux de pallier aux problèmes d’organisation et d’effectifs, se trouve confronté à deux options distinctes.
La première consiste à affecter en Algérie, alternativement, tous les régiments appartenant soit à la cavalerie de ligne, soit à la cavalerie légère. Cette option se trouve complétée par la volonté de n’avoir en Algérie, de manière continue, que des corps spécialisés appartenant à différentes armes et dotés d’une organisation et d’un mode de recrutement distincts.
La seconde est l’intégration des régiments de Chasseurs d’Afrique dans l’organisation régulière, les régiments de Spahis restant des "corps exceptionnels et spéciaux", c’est-à-dire dépendant de l’armée irrégulière.


Ces options, retenues par le comité de la cavalerie en 1840, expliquent l’absence des hussards et des chasseurs à partir de 1840, à l’exception des régiments ayant pris part à la conquête. Cependant, ces orientations n’ont qu’une portée fort limitée car les régiments envoyés en Afrique sont confrontés aux réalités du climat comme à un type de guerre radicalement différent des réalités tactiques d’une guerre continentale.


Dans sa globalité, la cavalerie de l’armée d’Afrique est, dans un premier temps, un corps spécifique et autonome - de l’expédition jusqu’à 1840 - par rapport à son arme comme en témoigne l’existence des régiments spécialisés comme les Chasseurs d’Afrique et les Spahis ; puis, après 1840, une composante de l’armée régulière à laquelle est jumelé un corps autonome fédérant les spahis, les milices urbaines et les différents pelotons de cavalerie constitués à travers le territoire, encadrés par des officiers français et composés d’indigènes. La cavalerie stationnée en Afrique présente, de 1830 à 1850, à la différence des autres armes, une spécificité qui la différencie des régiments de cavalerie métropolitains.


Partis de Port-Vendres le 18 juillet, les 4 escadrons 2e Hussards débarquent à Oran le 20 juillet 1844 aux ordres du colonel Joseph Gagnon (1843-1848). Le régiment gagne en Algérie le surnom de « Lions du Désert ». Au mois d’août 1844 Bugeaud organise son armée de 8000 hommes, puis se rend à Isly à la rencontre de l’armée marocaine, forte de 30000 cavaliers et fantassins. Les forces françaises remportent la bataille, l'armée marocaine déplore 800 morts, 1500 à 2000 blessés, et laisse 19 drapeaux, des canons, ses tentes (dont celle du roi et tous ses meubles), et un immense butin. Le 2e Hussards porte la mention de la bataille d'Isly-1844 sur son étendard.
En 1845 à Sidi Brahim le 2e escadron du régiment srea presque anéanti au côté des chasseurs à pied du 8e bataillon.

Ci-dessous, capitaine et vedette du 2 ème Hussards en Algérie.



Revenons à l’épisode de Sidi Brahim où le 23 septembre 1845, eut lieu un héroïque fait d’armes dont tous les bataillons de chasseurs à pied se glorifient, mais dont une part va également au 2e Hussards, régiment de Chamborant, dont le 2e escadron fut présent à ce glorieux combat et devait y trouver la mort presque en entier.
Le lieutenant-colonel de Montagnac commandait le cercle de Djemmaa-Ghazaouat (actuellement Nemours), sur la Méditerranée, près de la frontière marocaine).
Le 23 septembre 1845, afin de mettre de l’ordre dans des tribus voisines qui se querellaient, il emmène avec lui le 8e bataillon de Chasseurs d’Orléans sous les ordres du commandant Froment-Coste et le 2e escadron du 2e Hussards sous le commandement du chef d’escadron Courby de Cognord et le capitaine Gentil de Saint-Alphonse.
La colonne se composait de : 355 officiers, sous-officiers et chasseurs ; 67 officiers, sous-officiers et hussards ; 1 interprète, 1 ordonnance et 2 soldats du Train, soit un total de 426 hommes.
Le détachement quitte Djemaa-Ghazaouat à 9 heures du soir, laissant la garnison sous le commandement du capitaine de Génie Coffyn.
Après une marche fatigante de 20 kilomètres, la colonne s’arrête avant le jour, le 22 septembre.
Le lieutenant-colonel de Montagnac est inquiet ; de grands feux ont été vus s’allumer à droite et à gauche.
Après avoir pris le café, la colonne continuera sa marche et, à 3 heures de l’après-midi, s’arrête pour préparer la soupe et tuer les moutons.


De nombreux cavaliers apparaissent sur les crêtes et le caïd des Soubalia (chef de la tribu voisine de Djemmaa-Ghazaouat) prévient de Montagnac que ce sont les partisans d’Abd-el-Kader ; il en est d’ailleurs averti par un émissaire envoyé par le capitaine Coffyn.
Des coups de feu sont tirés sur la colonne ; le lieutenant-colonel de Montagnac décide, malgré l’annonce de l’arrivée de l’ennemi, de ne pas revenir en arrière.
A 23 heures, la troupe lève le camp, on allume de grands feux pour faire croire qu’on bivouaque, mais les Arabes n’en sont pas dupes et le 23 septembre, après une marche pénible, le bivouac est établi. Les hommes sont harassés ; on sent que l’ennemi est proche dans lesenvirons et en nombre ; personne ne peut dormir et se reposer.
Le 24 septembre, à 6 h 30, le lieutenant-colonel de Montagnac donne l’ordre au commandant Courby de Cognord de monter à cheval, en selle nue, avec ses hussards et au capitaine de Chargère de le suivre avec trois compagnies de chasseurs. Le commandant Froment-Coste reste au camp avec la compagnie de chasseurs Burgard et la compagnie de carabiniers du capitaine de Géréaut.

La petite colonne de hussards et de chasseurs guidée par de Montagnac s’engage dans un ravin et, apercevant de nombreux cavaliers qui tiennent les crêtes, il prescrit au commandant Courby de Cognord de les disperser.



Le commandant Courby de Cognord échelonne ses deux pelotons ; le nombre des ennemis augmente considérablement, mais au lieu de se retirer comme d’habitude, ils résistent. La mêlée devient bientôt sanglante. Les pertes des hussards sont sensibles, le lieutenant-colonel de Montagnac est grièvement blessé ; le capitaine Gentil de Saint-Alphonse est tué et le lieutenant Klein, du 2e Hussards, est blessé plusieurs fois.

Le commandant Courby de Cognord est indemne. Lancé à vingt pas de ses pelotons, il lutte contre la horde, mais son cheval est blessé à deux reprises : il chancelle et tombe avec son cavalier. Le hussard Testard lui offre son cheval et rejoint ses camarades les chasseurs. Il prend au passage les pistolets sur le cheval mort du commandant Courby de Cognord et tire sur des cavaliers arabes qui le poursuivent. Courby de Cognord rallie les hussards et exécute avec eux de nouvelles charges, mais la cohésion ne peut se maintenir, de nombreux cavaliers sont démontés et se défendent en groupes ou isolément.

De nouveaux cavaliers arabes surgissent de toutes parts. Le commandant Courby de Cognord, ne pouvant se rabattre sur les chasseurs, trop loin, se dirige avec ses hussards sur un mamelon. Il alors perd alors son deuxième cheval. Le lieutenant-colonel de Montagnac, qui s’était joint aux hussards, est de nouveau blessé.
Les trois compagnies de chasseurs veulent rejoindre le commandant Courby de Cognord, mais n’y parviennent pas : ils sont débordés, dispersés, anéantis. Une scène épouvantable de carnage se produit ; les hussards et les chasseurs tombés sont décapités et leurs têtes présentées aux survivants.
Le lieutenant-colonel de Montagnac, quoique très blessé, envoie le maréchal-des-logis-chef Barbut, du 2e Hussards, prévenir le commandant Froment-Coste de venir le rejoindre. Ce sous-officier est poursuivi par plus de 300 cavaliers qui ne parviennent pas à le rattraper.
Les hussards à pied et les chasseurs se forment en carré et cette vaillante phalange se défend courageusement. Le lieutenant-colonel de Montagnac meurt.

Le commandant Courby de Cognord est alors frappé de trois coups de feu et de deux coups de yatagan ; il est fait prisonnier et emmené à cheval par un chef arabe.
Les deux autres compagnies accourues ont le même sort ; submergés, les chasseurs se défendent avec bravoure le commandant Froment-Coste est tué, le capitaine de Géréaut se réfugie avec ce qui reste dans le marabout de Sidi-Brahim et repousse les assauts de l’ennemi pendant la journée du 25 septembre.
La sauvagerie des Arabes s’est assouvie sur les morts ; après le combat, 320 cadavres sans tête jonchaient le sol dont 54 du 2e escadron du 2e Hussards ; 90 chasseurs et hussards étaient prisonniers, tous blessés plusieurs fois.
Le caporal Lavayssière, seul gradé restant, prend le commandement et le 26 septembre, après de nombreux engagements avec les Arabes, il rejoint Djemaa-Ghazaouat avec 16 survivants dont un hussard.


Le commandant Courby de Cognord fut emmené prisonnier au Maroc et racheté après de nombreuses tractations en 1846 avec 11 autres prisonniers dont quatre du 2e Hussards (le commandant Courby de Cognord, le maréchal-des-logis-chef Barbut, les hussards Testard et Maetz).
Le commandant Courby de Cognord fut cité à l’ordre de l’Armée d’Afrique avec le motif suivant :
 » Commandant l’escadron du 2e Hussards qui faisait partie de la colonne du lieutenant-colonel de Montagnac, détruite par Abd-el-Kader à Sidi-Brahim, le 23 septembre 1845, le lieutenant-colonel de Montagnac, expirant, lui confia le commandement des débris du 2e Hussards et du 8e bataillon de Chasseurs. Il fit des prodiges de valeur et prolongea, contre plusieurs milliers d’Arabes, une lutte héroïque qui ne se termina que lorsque, épuisé par de nombreuses blessures, il tomba sans connaissance au pouvoir de l’ennemi.
 » II fut fait prisonnier avec ce qui restait de ses braves frères d’armes, souffrit cruellement pendant un an et deux mois et ne fut rendu à la liberté que le 27 novembre 1846.
 » Pour récompenser leur bravoure, le commandant Courby de Cognord fut fait Officier de la Légion d’Honneur et promu lieutenant-colonel ; le maréchal-des-logis-chef Barbut, les hussards Testard et Maetz, faits Chevaliers de la Légion d’Honneur.  »
En août 1846, le 2e régiment de Hussards obtint cette citation :
 » Depuis son arrivée en Afrique, le 2e Hussards a pris part à de nombreux et brillants faits d’armes. Il a mérité d’être cité glorieusement, même dans les désastres que son courage ne pouvait détourner. C’est au bon esprit du corps, à l’énergie de ses chefs et au dévouement des hussards qu’il a pu se placer au premier rang de l’Armée d’Afrique.  »
Le lieutenant-colonel Courby de Cognord fut ensuite nommé colonel, puis général de brigade ; il commanda à trois reprises à Tarbes en 1852 la 4e brigade de la 13e division, puis la subdivision militaire en 1856 et 1859.


L'armée française à la conquête de l'Algérie - IV

En guise d'entracte, voilà le récit du siège et de la prise de Zaatcha par l'armée française en 1849. Récit tiré des "Carnets de la Sabretache". On retrouvera ici de nombreux points communs avec les combats menés en Inde quelques années plus tard par les britanniques lors de la révolte des Cipayes. Petit siège en règle dans un pays lointain, rigueur du climat, problème d'hygiène et de salubrité qui font que la maladie fait plus de ravages que le feu ennemi, quasi léthargie du commandement entraînant une démoralisation de la troupe qui ne retrouve sa force que dans l'assaut direct...

À cette époque, l'émir Abd El-Kader s'est rendu aux forces françaises en 1847 et le bey de Constantine, Ahmed Bey, réfugié dans le massif de l'Aurès depuis 1837. Cependant, cela n'a pas totalement mis fin aux révoltes.
En mai 1849, le cheikh Bouziane, prétextant la hausse de la taxe sur les palmier-dattiers, harangue les populations. Il affirme avoir reçu un message divin lui commandant de chasser les nouveaux occupants.
Après une tentative d'enlèvement de Bouziane par un lieutenant des affaires arabe], le prédicateur proclame la guerre sainte.
Le 2e régiment étranger d’infanterie, en tournée de police entre Batna et Sétif est envoyé vers Zaatcha...


La prise de Zaatcha - 1849

La relation qui suit est tirée des souvenirs inédits du général de division Le Poittevin de la Croix, comte de Vaubois, grand- croix de la Légion d'honneur, écrits alors qu'il était colonel du 3e tirailleurs, d'après des notes prises au jour le jour. Elle nous a été communiquée par son fils aîné, le capitaine de la Croix-Vaubois, du 13° chasseur.
Le Poittevin de La Croix de Vaubois (Louis- Joseph), naquit à Anvers (Belgique), en mars 1813, d'Anne-Louis-Joseph et de Marie- Thérèse de Visser. Il entra à Saint-Cyr le 18 novembre 1839, à l’École d'état-major, en 1834 ; faute de place dans ce corps, il repassa dans l’infanterie et fit presque toute sa carrière en Algérie où il resta trente ans, successivement lieutenant au 63° d'infanterie, en Algérie ; capitaine au régiment des zouaves; chef de bataillon au 2° bataillon d’infanterie légère d'Afrique ; lieutenant-colonel au 2° tirailleurs ; colonel au 3° tirailleurs; général de brigade, commandant la subdivision de Bône. Il passa, le 3 décembre i866, au commandement de la 2° brigade des grenadiers de la Garde impériale, avec laquelle il fit la campagne de 1870. — Général de division le 27 octobre 1870, il réprima, en 1871, la grande insurrection de la province de Constantine qui lui offrit une épée d'honneur. Il fut retraité le 2a août 1880, après avoir été nommé grand-croix de la Légion d'honneur le 3 février de cette même année.
Il reçut un coup de feu à la tête le 26 novembre 1849 à Tassant de Zaatcha, où il se distingua particulièrement à la tête du bataillon de zouaves dont il avait le commandement. Il fut cité à l'ordre général de l'armée d'Algérie, en date du 4 août 1860, pour avoir assuré le succès de deux engagements dans les ravins des Beni-Mimoun, par l'énergie de ses attaques et ses habiles dispositions pendant l'expédition de la Kabylie orientale où il commandait la 3° brigade d'infanterie.

Le général de la Croix de Vaubois mourut à Paris, le 5 février 1889.


Les faiseurs d'affaires de Biskra s'en étaient attiré une grosse sur les bras en voulant à toute force faire de la fantasia et des bulletins. L'impéritie et le manque d'énergie immédiate des chefs firent le reste. Ils laissèrent se former à Zaatcha un noyau de rébellion que leur faiblesse ne sut résoudre. Des troupes leur arrivèrent de toutes parts sans qu'ils sussent en tirer parti. Bientôt, celles de la division de Constantine ne suffirent plus et on commença par diriger sur cette province le bataillon de zouaves dont je faisais partie. Nous quittâmes Aumale, le 9 octobre, pour Bord-bou-Areridj. De ce point, nous primes la route de Bou-Saada. A la première étape, nous nous joignîmes, pour en faire partie, à la colonne venue de Sétif sous les ordres du colonel de Barrai.  Nous continuâmes ensemble notre route.


Jusqu'alors, Bou-Saada n'avait jamais été occupée par les Français. Le colonel de Barrai réorganisa de nouveau la ville et Toasis et y laissa une garnison d'environ 150 hommes, les plus fatigués ou malingres de la colonne. Prenant ensuite la route du sud, nous passâmes le long des Zibans et arrivâmes devant Zaatcha le 23 octobre.


Nous trouvâmes des troupes démoralisées par des insuccès continus, par un service très fatigant, ainsi que par le manque de décision des chefs. Notre arrivée remonta le moral de tous. Dans les quinze jours qui suivirent, arrivèrent d'autres troupes venues d'Alger et de la province d'Oran.
Les troupes augmentaient en nombre, mais le service resta le même : un jour de garde de tranchée sur deux ; le second jour : garde ordinaire, service d'escorte pour le fourrage, le bois ou l'évacuation des malades ou blessés.
Enfin, sur six jours, c'est à peine si on avait un jour de loisir pour se nettoyer dans les intervalles que laissaient libres les distributions de vivres et les soins de propreté du camp. Aussi la santé des troupes s'en ressentait vivement.


Le général n'était pas à hauteur de son commandement. Esprit irrésolu et colère, il ne savait jamais prendre un parti. Ecrasé par sa responsabilité, il trouvait commode de se laisser aller aux idées des chefs du génie et de l'artillerie qui, comme toujours, ne s'entendaient pas entre eux.
Deux fois, on lui déclara que le fossé qui nous séparait de Zaatcha pouvait être franchi. Deux fois, il fit attaquer ; mais, chaque fois, un honteux échec vint témoigner de son impéritie.
Il y eut à cela deux causes : 1 La faiblesse numérique des troupes employées aux attaques. — 2 L'impossibilité de traverser les fossés profonds et non comblés sous le feu de l'ennemi. — Avec plus de monde, l'ennemi aurait été tenu en respect par de bons tirailleurs et l'opération eût réussi.
A une de ces attaques, les soldats de la légion purent s'établir de l'autre côté. On n'osa les appuyer et ils furent obligés de retraverser Je fossé : la moitié des hommes fut tuée dans cette opération.
Vers le 8 novembre, le colonel Canrobert arriva devant Zaatcha, venant d'Aumale, avec un autre bataillon de zouaves et deux escadrons de chasseurs, mais il amena avec lui le choléra qui ajouta ses ravages aux pertes que nous éprouvions par les maladies et le feu de l'ennemi.


Le colonel Canrobert fut indigné de la mollesse des opérations et laissa voir sa manière de penser au général. A partir de ce moment, il y eut plus de vigueur dans les opérations et les zouaves furent employés d'une manière constante. Mon bataillon se réduisait tous les jours sous ces fatigues et ces dangers constants. Combats à la tranchée, combats dans les jardins, combats autour de Toasis se renouvelaient chaque jour.


Le 12, de nouveaux renforts, sous le commandement du colonel de Lourmel, nous arrivent : Les combats de tranchée continuent.
Le 15 novembre, une colonne, dont mon bataillon fait partie, quitte le camp à onze heures du soir. Nous marchons toute la nuit et, à la pointe du jour, nous arrivons sur les nomades qui s'étaient réunis dans l'oasis d'Ourlal, à cinq lieues de Zaatcha. Nous les surprenons quoique couverts par Oued-Djedi, que nous traversons les hommes ayant de l'eau jusqu'aux épaules. Nous nous précipitons, infanterie et cavalerie, sur les cavaliers arabes qui se réunissent promptement, mais rien ne peut résister à nos sabres et à nos baïonnettes. En un instant, nous sommes maîtres j d'une ville de tentes, de 15.000 chameaux et de milliers de moutons. 150 cadavres ennemis restent sur le terrain. Ce succès nous fît du bien. 
Quelques jours après, mon bataillon alla accompagner une évacuation de malades sur Biskra, qui nous parut un lieu de délices quoique dépourvu de tout. Cependant, le choléra, le feu de l'ennemi et les différentes maladies continuaient leurs ravages. En outre, depuis quelque temps, régnait un vent presque continu et très violent du sud-ouest, nous amenant des sables qui nous envahissaient et pénétraient dans tout ce que nous mangions. Le même vent déchaussait les cadavres, les issues des bêtes, etc., de sorte que régnait une odeur affreuse ne laissant aucun repos. Des cadavres ennemis avaient aussi été abandonnés aux abords de Zaatcha et il était impossible de les enterrer.


Toutes ces circonstances agissaient sur le moral du soldat et faisaient augmenter tous les jours le nombre des malades et des morts. — Heureusement que le colonel Canrobert osa exposer la situation au général commandant. — Une plus grande activité fut imprimée aux travaux du siège.
Enfin, le 25 novembre, les têtes de tranchées arrivèrent au fossé et celui-ci fut en partie comblé.
Le 26, à la pointe du jour, trois colonnes se formèrent dans les tranchées et dans les places d'armes : elles étaient commandées par les colonels Canrobert, de Barrai et de Lourmel.


Les deux bataillons de zouaves et le bataillon du 5e chasseurs firent partie de la colonne de droite : colonel Canrobert. Mon fourreau de sabre me gênant, je le jetai dans la tranchée. Au signal d'une décharge générale de toutes les pièces, tous s'élancèrent.
Mon bataillon était en tête et je commandais la 2e compagnie. Nous avions l'ordre de prendre par les terrasses avec les chasseurs, tandis que l'autre bataillon de zouaves prendrait par les rues. On arrive assez facilement sur les maisons; mais, là, nous étions fort maltraités. Le chef de bataillon (de Lorencez) tomba blessé et je pris le commandement. Il fallait prendre chaque maison et y faire descendre successivement du monde. 
Je me portai dans la direction d'une grande maison de laquelle par- tait un feu bien nourri, lequel cessa tout à coup. Le motif était l'arrivée de la tête de colonne de Barrai qui débouchait. Le colonel de Barrai arrivait sans se précautionner, n'entendant aucun coup de fusil. Je l'avertis promptement du danger qu'il courait. Il eut le temps de se masquer avec ceux qui l'accompagnaient, mais les Arabes, dépistés, s'en prirent à moi de ce que leur ruse était éventée et il m'arriva un feu de peloton. Je fus renversé, atteint à la tête, mais sans perdre connaissance. J'avais sans doute la tête dure et mon mouchoir suffit pour la panser provisoirement. Je descendis alors avec ce qui me restait de monde disponible et me dirigeai par la rue vers la maison en question. Précisément, je rencontrai là deux sapeurs du génie. Je les envoyai chercher un sac à poudre, et, en attendant, j'embusquai mon monde.


 Au bout d'un quart d'heure, durant lequel j'avais tiré tant bien que mal sur les meurtrières, mes sapeurs revinrent. Je réussis à placer mon sac contre une porte. En ce moment, arrivait dans une maison voisine et dominant celle que j'attaquais, l'autre bataillon du régiment (commandant de Lavarande). Je l'instruisis en criant de la position et lui dis de se porter à quelque distance en arrière, attendu que j'allais faire sauter la maison; il le fit. 
Je parvins à disposer deux sacs de poudre et à y adapter une mèche à laquelle le feu fut mis. Au bout de deux minutes, une effroyable détonation se fit entendre, abîmant une partie de la maison dans laquelle je me précipitai avec mes hommes. Ce qui s'y trouvait fut passé à la baïonnette. Il y eut un mètre de cadavres. — Quelques Arabes parvinrent à gagner la terrasse ; mais, là, le commandant de Lavarande les attendait. Parmi eux, on reconnut Bou-Zian, le chef des révoltés, le cherif Si-Moussa-ben-Ahmed et quelques meneurs influents qui furent décapités. 
Le commandant de Lavarande s'attribua uniquement la prise de la maison ainsi que celle de Bou-Zian et, dans son rapport, ne fit aucune mention de mon fait d'armes, pas plus que mon chef de bataillon qui, blessé au commencement de l'assaut, s'en rapporta entièrement à son camarade. Le lendemain de la prise, on fit sauter ce qui restait encore debout dans Zaatcha et, quelques jours après (le 28 novembre), nous quittâmes le foyer d'infection qui était devenu un vrai charnier. Deux mois après, j'étais nommé chef de bataillon.