vendredi 13 avril 2012

Pour notre liberté et pour la vôtre.




En janvier 1943, l'Union militaire juive (Żydowski Związek Wojskowy, "ŻZW"), l'Organisation juive de combat (Żydowska Organizacja Bojowa, "ŻOB") et l'Armée Intérieure polonaise (Armia Krajowa, "AK") décident depuis le ghetto de Varsovie, de s'opposer par la force aux déportations. Leurs forces ? Elles sont dérisoires. Surtout en comparaison de la machine de guerre allemande et de ses unités d'occupation.
Et pourtant...
Pendant de longues semaines, au cours d’âpres combats de rues, ils vont donner du fil à retordre à la vermine nazie et prouver qu'un juif sait mourir libre, les armes à la main.
Les combattants seront pour la plupart de jeunes hommes et de jeunes femmes. Ils seront moins de 500 au départ. Le ghetto ayant déjà subi un "écrémage" en règle,  à l'époque de la prise d'armes, il est déjà vidé de la plupart de ses habitants. En bref, les plus vieux, ceux dont la "force de travail" n’intéressaient pas l’industrie allemande, ont été déportés dans les camps de la mort. Durant les combats environ 7 000 résidents du ghetto ont été tués, 6 000 ont été brûlés vifs ou gazés durant la destruction totale du quartier, les Allemands déportèrent les survivants dans le camp d'extermination de Treblinka et les camps de travail de Poniatowa, de Trawniki et de Majdanek.

Combattantes de la glorieuse insurrection du Ghetto juif de Varsovie.

« Nous nous battons pour notre liberté et pour la vôtre... Pour notre honneur et pour le vôtre... Pour notre dignité humaine, sociale, nationale et pour la vôtre... »

Ces mots, issus de la « Proclamation du Ghetto au combat » le 23 avril, sont lançés alors que les combats font rage. la Direction de l’Organisation Juive de Combat, a donné le signal de l’Insurrection depuis le 19 . 
Cette Direction est composée de cinq membres : Mordekhaï Anielewicz du Hashomer Hatzaïr (sioniste de gauche) en est le commandant, Marek Edelman du Bund (mouvement socialiste révolutionnaire Yiddish), le commandant en second ; en font également partie Icchak Cukiermann du mouvement pionnier Hekhaloutz, Hersz Berlinski du Poale Sion de gauche et Michal Rojzenfeld du Parti communiste.

Mordekhaï Anielewicz

Marek Edelman

Icchak Cukiermann

Michal Rojzenfeld

Voilà ce que rapelle Marek Edelman, l'un des rares combattants survivants, dans la postface de la réédition de ses « Mémoires du Ghetto de Varsovie » en 2002 :

« La défense du Ghetto n'avait rien d'inattendu. Elle était la suite logique de quatre années de résistance d'une population enfermée dans des conditions inhumaines, humiliée, méprisée, traitée, selon l'idéologie des vainqueurs, comme des sous-hommes. Malgré ces conditions dramatiques, les habitants du ghetto ont, dans la mesure du possible, organisé leur vie selon les plus hautes valeurs européennes. Alors que le pouvoir criminel de l'occupant leur refusait tout droit à l'éducation, à la culture, à la pensée, à la vie, voire à une mort digne, ils ont créé des universités clandestines, des écoles, des associations et une presse. Ces actions qui engendraient la résistance contre tout ce qui menaçait le droit à une vie digne, ont eu pour conséquence l'insurrection. Celle-ci était l'ultime moyen de refus des conditions de vie et de mort inhumaines, l'ultime acte de lutte contre la barbarie et pour la sauvegarde de la dignité. »



Quand, dans une récente interview par le quotidien israélien Yediot Aharonot, la journaliste lui demande si l’insurrection n’était pas une forme de suicide collectif, Marek Edelman s’insurge :

« En nous soulevant, nous avons rappelé notre appartenance au genre humain. En prenant les armes contre ceux qui voulaient nous anéantir, nous nous sommes raccrochés à la vie et nous sommes devenus des hommes libres. »




Mais qui est exactement Marek Edelman?

Un jeune adolescent juif de Pologne d'origine biélorusse, fille d'une militante ouvrière du Bund, parti yiddish hostile au sionisme et luttant pour la défense des droits sociaux et culturels de la classe ouvrière juive. En 1943, quand les nazis, occupant la Pologne, resserrent leur étreinte d'oiseaux de proie sur les 40 000 juifs entassés dans les rues et les maisons lépreuses du "ghetto de Varsovie", il ne regroupe guère qu'une centaine de jeunes garçons et filles armés de quelques vieux revolvers, de grenades artisanales et de bouteilles incendiaires, qui tiendra les troupes de choc allemandes en échec plusieurs semaines avant de céder sous la pression des lance-flammes qui ravagent ce qui reste du quartier.

Refusant de se donner la mort contrairement à Anielewiscz, il réussit à fuir par les égoûts avec une poignée de braves, des adolescents comme lui, rejoint la Résistance polonaise, nationaliste, catholique, et communiste, à l'extérieur, participe à une deuxième insurrection noyée elle aussi dans le sang, celle de la ville entière de Varsovie, en 1944.


Plus tard, interrogé par une journaliste israélienne sur les premières actions "terroristes" de la Résistance juive - dirigées contre "la police juive du ghetto, dont les membres avaient multplié les exactions": "C'étaient des traîtres, dit-il, sèchement. Ils n'étaient pas obligés de collaborer avec les nazis, mais ils pensaient que c'était une bonne manière de gagner de l'argent et de sauver leur peau".
 La journaliste continue:
 "N'est-il pas logique que des Juifs fassent tout pour survivre?, demande la voyageuse?
 Marek Edelman répond: "Ça, c'est votre philosophie d'Israélienne, celle qui consiste à penser qu'on peut tuer vingt Arabes pourvu qu'un Juif reste en vie. Chez moi, il n'y a de place ni pour un peuple élu, ni pour une "Terre Promise".

Il s'est rendu quelquefois en Israël pour y visiter des amis mais n'a jamais souhaité y émigrer. Il est resté fidèle aux idées du Bund, mouvement hostile au sionisme. Selon Élie Barnavi « Edelman n'y a pas bonne presse. Il est un héros incontestable mais dans la mémoire collective israélienne, il reste un juif diasporique. Dans le conflit idéologique qui structure le pays, le vrai héros soutient le projet sioniste. Le vrai héros du ghetto, pour Israël, c'est Anielewicz. »
À l'occasion de ses visites en Israël, il défend abruptement ses positions de soutien au peuple palestinien, en conflit ouvert avec les membres du gouvernement israélien."De quel peuple juif parle-ton? dit-il encore. "Aujourd'hui Israël est un Etat culturellement arabe (...) Israël s'est créé sur la destruction de cette imense culture juive multiséculaire qui s'était épanouïe entre la Vistule et le Don. La culture israélienne, ce n'est pas la culture juive. Quand on a voulu vivre au milieu de millions d'Arabes, on doit se mêler à eux, et laisser l'assimilation, le métissage, faire leur œuvre."


Tous les ans, jusqu'à son dernier souffle en 2009, un simple bouquet de jonquilles à la main, il se rendait sur les ruines du Ghetto y célébrer la mémoire de ces jeunes compagnons de combat, et de tous les morts.


Voici la lettre qu’il adressa "à tous les chefs d’organisations palestiniennes militaires, paramilitaires ou de guérilla, à tous les soldats de groupes militants palestiniens » le 1er août 2002, lettre qui lui attira de féroces critiques de la part des sionistes, qui lui reprochèrent d’avoir qualifié les « terroristes » palestiniens de « partisans » :
« Je m’appelle Marek Edelman. Je suis l’ancien commandant adjoint de l’Organisation militaire juive en Pologne, l’un des chefs de l’insurrection du ghetto de Varsovie. Dans l’année mémorable de cette insurrection, en 1943, nous luttions pour la survie de la communauté juive à Varsovie. Nous nous battions pour notre vie, pas pour un territoire, ni pour une identité nationale. Nous nous battions avec une détermination désespérée, mais nos armes n’étaient jamais dirigées contre des populations civiles sans défense, nous n’avons jamais tué des femmes et des enfants. Dans un monde dépouillé de principes et de valeurs, malgré le danger constant de la mort, nous sommes justement restés fidèles à ces principes et valeurs.
Nous étions isolés dans notre combat et, néanmoins, l’armée puissante à laquelle nous faisions face n’a pas réussi à détruire les garçons et filles à peine armés que nous étions. Notre lutte à Varsovie a duré plusieurs semaines, puis nous nous sommes battus dans la clandestinité et pendant l’insurrection de Varsovie, en 1944.
Cependant, nulle part au monde, un groupe de partisans ne peut remporter une victoire définitive, nulle part une guérilla ne peut être défaite par des armées, aussi bien équipées soient-elles. Votre guerre ne peut non plus apporter une solution. Le sang sera versé pour rien, et des vies seront perdues des deux côtés.
Nous n’avons jamais manqué d’égards pour la vie. Nous n’avons jamais envoyé nos soldats à une mort certaine. La vie est éternelle. Nul n’a le droit de l’ôter à la légère. Il est grand temps pour tout le monde de comprendre précisément cela.
Regardez autour de vous. Regardez l’Irlande. Après cinquante ans d’une guerre sanglante, la paix est arrivée. D’anciens ennemis mortels se sont assis à la même table. Regardez la Pologne, Walesa et Kuron. Sans coup férir, le système criminel communiste a été défait. A la fois vous et l’Etat d’Israël devez changer radicalement d’attitude. Vous devez vouloir la paix pour sauver des centaines et peut-être des milliers de gens, pour créer un meilleur avenir pour ceux que vous aimez, pour vos enfants. Je sais de ma propre expérience que l’actuel déroulement des événements dépend de vous, les chefs militaires. L’influence des acteurs politiques et civils est beaucoup plus petite. Certains d’entre vous ont étudié à l’université de ma ville, Lodz, et certains d’entre vous me connaissent. Vous êtes assez sages et intelligents pour comprendre que, sans paix, il n’y aura pas d’avenir pour la Palestine, et que la paix ne peut être obtenue qu’au prix de concessions des deux côtés.   


Quelques (beaux chants) en yiddish. On trouvera la, un chant de partisans juifs (ils furent nombreux dans les forêts de Biélorussie), un chant révolutionnaire juif, l'hymne du Bund, le chant des chômeurs et différentes versions du chant des insurgés du ghetto:










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