samedi 24 mars 2012

Un républicain de vingt ans en mars 1871.


LA CANAILLE.


On se bat à Paris ; la garde nationale armée, forte de 200 000 hommes, est en révolte ; à Montmartre, canons et mitrailleuses sont braqués sur la ville ; Vinoy est bloqué et va capituler ; Chanzy part avec 40 000 hommes pour combattre l’insurrection, etc.
Telles sont les nouvelles que les réactionnaires colportaient ces jours-ci, et l’Assemblée tremblante demandait si elle irait siéger sur le Puy-de-Dôme ou en plein Océan, et les journaux monarchistes débitaient des tirades de longue haleine sur « la populace, la vile multitude, la crapule, la canaille. »
Pauvres gens, ignorants et ingrats ! Cette canaille, que vous conspuez, pour laquelle vous n’avez pas assez d’insultes, que vous accusez de pillage et d’assassinat ; cette canaille que vous voudriez voir balayer par le canon, savez-vous ce qu’elle est, ce que vous lui devez ?
Savez-vous paysans, bourgeois égoïstes et lâches, ce qu’il y a de dévouement, de courage et de misère dans le cœur de cette canaille ?
C’est elle qui vous a fait ce que vous êtes ; c’est elle qui vous a vengés d’une oppression de dix siècles.
Paysan, qui est-ce qui t’a donné les moyens d’acheter ton champ, ta vigne et de les cultiver pour toi, pour toi seul ?
La canaille.
Bourgeois, commerçant, propriétaire, qui est-ce qui t’a donné la faculté de travailler pour toi, pour toi seul, d’amasser, de sortir de la misère, de te faire un petit bien-être ? Qui est-ce qui travaille pour toi et t’enrichit ?
La canaille.
Et vous député, avocat, médecin, homme de lettres, professeur, capitaine, qui est-ce qui vous a permis de montrer votre licence et votre mérite et de prendre place au soleil ?
La canaille.
Vous tous, tant que vous êtes, qui vous a faits hommes libres, citoyens ?

La canaille de 1789, de 1830, de 1848.

Cette canaille, si vous l’aviez écoutée et suivie, le 2 décembre, aurait déjoué avec vous les projets du parjure Bonaparte ; si vous aviez voté comme elle, elle aurait renversé le second Empire, et prévenu la ruine et la honte de la patrie ; elle aurait peut-être sauvé la France le 31 octobre si vous l’aviez un peu mieux connue et si vous aviez eu plus de confiance en elle.

C’est elle qui fait les révolutions et sans en profiter.

Qu'y gagne-telle, la canaille ?

La misère, la haine de ceux qu’elle sert, parfois l’exile, souvent la mort.

Malgré ses bienfaits et son abnégation, vous n’avez pour elle que l’injure ; vous savez bien qu’elle fusille les voleurs qui se glissent dans ses rangs, et que si parfois ses mains sont teintes de sang, c’est qu’elle punit ses traîtres ou se venge d’un usurpateur.
Elle se désavoue (sic) pour vous, et vous n’avez pour elle que l’insulte, l’ingratitude pour la remercier.
Vous ne vous souvenez pas même que vos pères faisaient partie de cette canaille, et vous ne songez pas que vous en faisiez partie vous-mêmes, mais sans gloire, si vos pères avaient été aussi égoïstes et aussi lâches que vous.


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