"Ma haine et mon amour sont de
même origine ; leurs racines nerveuses s'élèvent de chaque fibre de mon cœur
déchiré ! En moi toute haine suppose un amour, comme toute médaille, un revers
; toute négation, une affirmation ; toute question, sa réponse. — Je hais
infiniment parce que j'aime sans réserve!
La Révolution m'emporte vers des
horizons lointains et terribles ; elle centuple la virtualité de mon être ;
elle passe sur ma tête comme un souffle d'ouragan. — Et sur mes tempes qui
battent, je sens mes chevaux s'allonger comme autant de serpents !
En ces années paisibles j'eusse
traîné longtemps mes jours dans le cercle de famille. Mais en ces temps de
déluge, il faut se mouvoir dans l'Humanité. Je vivrai plus ainsi. Eh !
qu'importe d'ailleurs la durée de la vie pour qui l'emploie sans réserve et sans
calcul ! — Tout ce qui est, est immortel !
Je suis de ceux que les émotions
font naître et mourir jeunes, de ceux qu'elles consument rapidement sur la
terre et dans la tombe, dans le ciel et dans l'enfer !
Je ne saurais vivre indifférent
pour les êtres qui m'entourent. Je les aime ou je les hais, commandant ainsi
leur amour ou leur haine. — Car le cœur de l'homme est un abîme avare qui ne
rend jamais que ce qui lui est donné !
Dans ce monde d'iniquité, je ne
puis rien aimer comme je m'en sens la force : je suis contraint de haïr, hélas
!
Et ma haine, c'est de l'amour,
encore : l'amour de l'homme juste qui désespère, l'amour de l'homme libre forcé
de vivre au milieu d'esclaves ; un amour non satisfait, immense, indéfini,
généreux et général. — Amour qui brûle, amour qui tue !
Je suis l'amant de l'Avenir qui
maudit le Présent. Je suis citoyen de l'Humanité qui souffre en Civilisation."
Extrait de Hurrah!!! ou la Révolution par
les Cosaques (1854), in Pour la Révolution précédé de
Terrorisme ou Révolution par Raoul Vaneigem, coll. "Classiques de la
Subversion", éditions Champ Libre, Paris, 1972
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