Paru dans "IPNS" numéro 36 de septembre 2011, journal d'information et de débat du plateau de Millevaches.
AUX MAÇONS DE LA CREUSE MORTS POUR LA COMMUNE.
- C’est pour
les francs-maçons ?
Sempiternel
question… épuisante au bout d’un moment, mais inlassablement suivi de la même
réponse.
- Non, c’est pour les maçons de la Creuse.
Voilà comment
fût accueilli « au Mur » en
mai 2004, un premier modeste bouquet.
Au Mur…
J’y allais
depuis l’âge de 16 ans, pour fredonner Le
temps des cerises ; toujours chanté faux et dont le passage
« évitez les belles », provoquait les rires gras de quelques gros
cégétistes.
Les maçons de
la Creuse, pourquoi ?
Parce que LA CREUSE,
tiens ! Un père né à Glénic, une mère née a Paris, mais dont la propre
mère était d’Ajain. Vacances en Creuse
vacances heureuses, c’était encore le meilleur dicton qu’on m’ait déballé à
Paris. Pour le reste…
Dire que nos
parents venaient de là-bas, qu’on était « d’origine » creusoise, cela
faisait souvent glousser. Un ricanement qui déjà, m’esquintait et me blessait.
Je n’avais rien à répliquer. Après tout, il n y avait jamais eu grande chose en
Creuse. Et dans ma génération née au début des années 1980, les revendications
« communautaires » n’étaient pas légion. Pas encore…
Né à Clamart,
bébé nageur a Malakoff, puis Marne-la-Vallée à 3 ans. La ville nouvelle, rien
d’un ghetto. Mais la banlieue quand même, avec ses photos de classe de la
maternelle au lycée, garnie de Sofiane, de Lilia, de Jonathan ; sa clique
de Nguyen et ses palanquées de Dominguez. Tous français en fait -moi aussi. Je
m’appelle xxxxxx, xxxxxx III comme dit mon grand père.
Puis les
années 2000 avec ses « Algérie en force », « Portugal for
ever », « mafia cainfri » et consorts. Et moi ? Je suis
quoi dans tout ça ? Il y a toujours
les régionalismes, ces folklores de fond de roupettes… Beaucoup de
bretons, de corses, de basques ; vous savez les joyeux garçons, les
guerriers et les bergères… alors quoi, la race limousine ? C’est de
l’barbaque au rayon frais !
Je sui né à
Clamart, etc. Mais je n’ai pas « d’origine. » Alors je reprends
tout à zéro. Avant que le hasard (l’exode rurale quoi !) ne me fasse
naitre en banlieue parisienne, mes aïeux étaient nés Creuse. C’est mon
3 /4 de jus, mais pas d’héritage. Mes parents dans la lignée de Mai 68, ne
voulaient rien léguer. Et puis ?
Je ne leur en
veux pas, les choses étaient ainsi.
Heureusement
depuis que je suis marmot, je suis passionné d’Histoire. Alors je gratte, je
retrouve les Mémoires de Leonard dans
un coin perdu de la petite bibliothèque familiale. Je déniche Histoire des maçons de la Creuse, dans
une librairie guéretoise. Je questionne mon paternel. D’un coup, je commence à
comprendre pourquoi, les pierres taillées des bâtisses de Paris m’ont toujours
fait des œillades. Il y avait ce peu choses que je savais : des
ancêtres maçons, depuis des générations et des générations… Antoine Goumy mon
arrière-arrière grand père maçon à Paris rue de Flandres, fusilier-mitrailleur
tombé sur la Somme. Mon arrière-arrière grand oncle, Jean Alfred Tartary, maçon
à Ermont, tué à l’assaut 11 jours avant l’armistice ; comme tant de fils
de cette terre blessée.Oui, oui ! « Maudite soit la guerre »… Cette guerre de riche. Passons.
Il y a ces
choses qu’on sent… Jai une approche visionnaire de l’Histoire. Collégien, j’ai
au-dessus de mon lit, une affiche en couleur dû à l’habile coup de crayon de
Manara, qui ne sait pas que dessiner que
des paires de fesses. Ce « poster », illustre la défense d’une
barricade communarde. Je m’en rappelle, de cette intuition de collégien.
MA VISON à
moi : J’en suis ! J’en étais ! Kif-kif… puisque j’en suis
persuadé ! Des gens de mon sang en étaient.
Je me
regonfle. Un peu facilement certes ; des ses aïeux qui ont bâtis la ville
que j’arpente dans tous les sens, cette capitale contre laquelle je me cogne.
Une autre
fierté prend le relais.
Celle plus
tragique que la Creuse, fut de 1848 à 1871, le 3ème département pour le
pourcentage de population poursuivie. « La race la plus sanguinaire et la
plus pétroleuse de France », selon l’article on ne peut plus mordant,
sinon magnifique d’Alfred Assolant.
Il faut que
j’aille plus loin. Et de recherches en recherches, de lectures en lectures, je
l’ai ma vieille vision : Des creusois par pleine charrette, pendant la Commune.
Pas de chef -tant mieux ! Mais l’ouvrier du bâtiment comme « 30 sous »
de base, comme simple soldat de la Sociale. Qu’importe, ils étaient là et m’ont
laissé un peu de leur sang, dans mon cœur né pour n’être jamais du coté des
oppresseurs mais du coté des oppressés, toujours.
J’épluche
« le Maitron » et les archives de paris, les rapports de conseils de
guerre plein a craquer de maçons de la creuse. Des aïeux, des cousins ! Parfois
attentiste, « touche-la-solde » qui suit les événements et ne s’est
engagé que pour assurer sa subsistance. Quelque fois, rallié à la Commune par
sympathie ou par mouvement ; parce qu’il s’est senti trahi.
Les creusois à
Paris pendant ces 76 jours de 1871 ?
Souvent d’incorrigibles
communeux, qui se sont battus les armes a la main jusqu’aux derniers jours,
pour l’idéal de la république démocratique et sociale. Autant, sinon plus que les grandes figures de
la Commune, ils sont les spectres d’un peuple qui a disparu, de ces murs sales de
Paris contre lesquelles ont les a collés, pour les abattre comme des chiens enragés.
Ils ont eux aussi leur lot d’orbite pendante, de cervelle éclatée, de crevasse
béante ouverte sur leurs vareuses de gardes nationaux ou sur leurs blouses. Ils
sont à chaque coin de rues. Ils m’avaient touchés, depuis toujours.
Alors ca
devient quelque chose que je balance a tout le monde et au final ce n’est plus
pour moi, c’est pour EUX. « Pour ne pas répéter une chose
ennuyeuse », j’en saoule tous mes amis, toutes mes connaissances ;
pas un, pas une n’en réchappe. A chaque coin de rue, je n’ai fais que ca ;
répéter cette chose qui ennuyait le parigot.
Palpant les
pierres des deux rives, bon dieu ! C’est du creusois ça !
Et pour le
plus ivre, pour le plus sot que moi qui en doutait, un gaviot dans le meilleur
des cas, une bouche qui parlait trop, ça saigne ! Petit poing de rat de
bibliothèque, pas calleuse pour un sou ; mais descendant de maçon
marchois, alors ! Enfant d’émigré… C’est mon lignage, mon blason face à la
jeunesse dorée.
LE 248ème bataillon fédéré qui contient le plus grand nombre d'immigrés creusois dans ses rangs. |
En ce 140ème
anniversaire de la Commune, je veux faire les choses en grands. Un brin retro
dans ma dégaine, pas de déguisement ! Je suis comme ça. Un drapeau rouge
frangé d’or et ce petit bouquet d’œillets rouge, estampillée de l’inscription
que vous devinez.
28 MAI
2011 ? 140 ans après, la montée au Mur…
Toujours laborieuse
quand on vient en anonyme, sans écharpe d’élu, sans carte de parti. Mais moi je
les veux devant, ces blouses, ces hirondelles blanches qui ont choisi le
drapeau rouge, je les veux en première ligne, ces derniers, ces oubliés. Je
bataille, je gueule quand on évoque la gerbe pour les 257 luxembourgeois. Je
joue des épaules pour être au premier rang suivi de ma petite sœur xxxx, 17 ans,
qui tient les fleurs rouges d’outre tombe de quelques milliers de creusois. Je
fonce dans le tas, je m’impose ! Enfin, je suis devant.
- Ah il faut
s’inscrire ?
- Au nom de
quelle organisation ?
- Au nom des
maçons de la Creuse morts pour la Commune ! Je suis écumant.
Ma sœur dépose
le bouquet, avant tous les partis, avant tous les syndicats. Je salue
militairement la plaque, le poing droit serré. Un peu de pose, pas de
vanité ; mais un brin de morgue pour ceux qu’on traitait de brutes et qui
se sont battus pour la plus noble des causes : la cause du peuple.
Chaque jour en
allant travailler, je les vois ceux qui construisent le tramway, débouchonnant
un litre sous leur abri quand il neige, creusant sous le cagnard. Ces maçons au
bleu de travail, blanchi de poussière de plâtre. Assis à même la chaussée pour bouloter
leur kebab pendant qu’autour d’eux brillent l’amour sous les jupes des parisiennes
qui passent sans les voir.
Oi! Oi! Oi! WORKING CLASS BUILT THIS TOWN! |
La page est
tournée. L’Histoire des maçons de la creuse est fini. Mais elle recommence déjà,
un peu, avec ceux la.
La rue des Carmes sous le second empire, qui comme les rues alentours des pentes de la montagne Sainte-Geneviève, abritait nombre de garnis ou logeaient les maçons de la Creuse. |
fédérés fusillés pendant la "semaine sanglante". |
Maçons creusois, avant 1914. |
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire