UN DUEL AU SABRE
de François
Coppée
1904
Dans le café — c’était en
mil huit cent dix-sept —
Où souvent, avec les demi-solde,
il passait
Une heure à regretter son
ancienne cocarde,
Le commandant Simon, des
chasseurs de la garde.
Rêvassait, accoudé devant un grog
au rhum.
Très râpé, mais gardant un
certain décorum.
Il portait le chapeau tromblon,
la forte botte
A gland de soie, et, sur sa
longue redingote.
Arborait un ruban large au moins
de deux doigts;
Car, depuis Austerlitz, ce brave
avait la croix.
Une balafre au front, les favoris
en crosse
De pistolet, le teint boucané,
l’air féroce,
Tel, sous Louis Dix-huit, était
le commandant.
Un timide aurait eu peur, rien
qu’en regardant
Ce dur masque engoncé dans le col
militaire.
Près de lui, sur le mur, pendait
à la patère
Sa canne, un jonc robuste au
cordon de cuir noir.
L’âme du « demi-solde » était
sombre, ce soir.
Jamais elle n’avait tant charrié
de haine.
Depuis que l’Empereur était à
Sainte-Hélène.
Sur lui le désespoir avait mis le
grappin.
Il songeait :
— Plus de gloire, hélas! Et pas
de pain !
Moi, hussard de l’an Un, moi,
vainqueur de Jemmapes,
Qui de toute l’Europe ai couru
les étapes
Et traîné, vingt-cinq ans, des
sabres aiguisés
Sur la peau des Chouans et des
Coalisés,
Aujourd’hui, passant mal vêtu
dont on ricane,
Dans la boue, à Paris, je vais
traînant ma canne !
Tonnerre! Sommes-nous des héros,
oui ou non!
Le Petit Caporal m’appelait par
mon nom,
Pourtant; il m’a tiré l’oreille,
à Montenotte.
A présent, je n’ai pas crédit à
ma gargote.
Plus d’amours! Beau garçon,
jadis, sous le dolman,
J’eus plus d’un très flatteur et
rapide roman.
Cette margrave, à Dresde... Or,
mille baïonnettes
En pékin, maintenant, je fais
peur aux grisettes...
Et, ce soif, je n’ai pas dans ma
poche un écu!
Il ruminait ainsi sa fureur de
vaincu.
Comme il les haïssait à fond, les
nouveaux maîtres,
Le roi, d’abord, ce gros goutteux
avec des guêtres,
Qui passait en carrosse, escorté
de dragons!
Tout ce que l’étranger tirait de
ses fourgons
Le remplissait d’horreur. Mais la
honte des hontes,
C’était ces nobliaux, ces
marquis, ces vicomtes.
Ces barons de vingt ans, n’ayant
pas vu le feu.
Bombardés officiers d’un coup,
et, sacrebleu!
A qui l’on prodiguait tout, les
croix et les grades.
Sur leur compte il pensait comme
les camarades
Qui, près d’un bol de punch, le
visage échauffé,
Jouaient aux dominos, dans un
coin du café.
Quand un de ces grognards
rencontrait au passage
Quelque garde du corps tout
jeune, l’air bien sage.
Il vous l’apostrophait du style
le plus sec,
Puis, en garde! Il tâchait
d’embrocher le blanc-bec.
Pourtant le commandant — chose
extraordinaire —
N’avait, depuis longtemps, pas eu
la moindre affaire.
Par scrupule. En escrime, il se
savait trop fort.
Pour lui, tout adversaire était,
d’avance, mort.
Il cultivait, depuis qu’il
servait sous les aigles,
Le grand art de tuer un homme
dans les règles,
Et, certain d’ôter — aucun n’eût
pu le démentir-
Le premier sur la planche et le
premier au tir,
Il évitait les duels, par réserve
loyale.
Gendarme de la Garde 1816
Soudain, trois officiers de la
Garde Royale
Entrent très bruyamment, le teint
illuminé,
Les yeux brillants. On voit
qu’ils ont trop bien dîné.
Que d’éperons! C’est un tapage
épouvantable.
On s’installe, et l’un d’eux
frappe alors sur la table.
« Du Champagne!
C’est un gamin, si jeune encore
Que, pour moustache, il n’a que
de légers fils d’or.
Un regard langoureux. L’air d’une
femmelette.
A peine un homme, enfin... Et
déjà l’épaulette!
Le nez du commandant s’est froncé
de courroux.
Pourquoi lui viennent-ils
montrer, ces jeunes tous,
Leurs culottes de peau qui
collent sur la jambe.
Leurs casques, leurs plumets,
tout ce galon qui flambe
Tout ce qu’il n’a plus droit de
porter maintenant?
S’ils risquent, tout à l’heure,
un seul mot malsonnant
Contre son Empereur, son dieu,
son Bonaparte,
Le vieux bretteur, si fort sur le
contre de quarte,
Ce soir, — tant pis pour eux! —
est prêt à s’aligner.
Pourtant aucun motif, d’abord, de
s’indigner.
L’humeur des jeunes gens, après
boire, est folâtre.
Ceux-ci parlent entre eux
chevaux, femmes, théâtre.
Confusément, d’ailleurs. Effet du
chambertin.
— Ferdinand, j’ai monté mon
bai-brun, ce matin . . .
Bonne bête !
— Mon cher, ma pouliche est meilleure.
Elle m’avale, au trot, en une
demi-heure,
La route de Saint-Cloud... et
c’est un long ruban.
— Que la duchesse était belle,
sous son turban,
L’autre soir, chez Monsieur!...
Des épaules de reine!...
Quel est donc cet Anglais qu’à sa
suite elle traîna?
— Lord Raleigh... Il obtient, m’a-t-on dit,
ses bontés.
— J’ai bien ri, mes enfants, hier, aux
Variétés...
Allez-y donc... Vernet et Potier
sont très drôles.
Le « demi-solde » n’a qu’à hausser les épaules.
Propos de garnison.
Mais le beau mirliflor,
Le joli lieutenant à la moustache
d’or.
Distrait, comme parlant d’une
chose futile.
Demande :
— Que devient donc l’Ogre dans
son île?. . .
Il n’est plus question de
Buonaparté,
Le cœur du vieux soldat, dans son
coffre, a sauté.
Suffoquant de colère, il se lève,
décroche
Son jonc de la patère, en quatre
bonds s’approche
Des officiers, regarde en face le
petit
Et gronde entre ses dents :
— Comment. avez-vous dit?
Le jeune homme à son tour se lève
avec surprise.
L’œil terrible fixé sur le sien
le dégrise.
Il toise l’enragé brusquement
apparu,
Et, d’un ton insolent :
— Quel est ce malotru?
Dit-il.
— Alors, clampin, c’est toute ta
réponse?...
Je vais donc t’enseigner comment
ça se prononce,
Bonaparte...
Et, d’un geste outrageant de
dédain,
Le commandant brandit un instant
son gourdin.
Le jeune homme a du cœur. Il
frémit sous l’insulte,
Porte la main au sabre. On le
retient. Tumulte.
Lâchant leurs dominos, au bruit
de l’incident.
Les « demi-solde », l’air
farouche, l’œil ardent.
Sont accourus, et leurs
redingotes râpées
Autour du commandant sont
maintenant groupées.
La dame du comptoir est pâle de
terreur;
Car la haine des vieux soldats de
l’Empereur
Est telle pour ces gens de cour
en uniforme,
Que l’un fait tournoyer déjà sa
trique énorme.
Croyant que la bataille est près
de commencer,
Qu’un autre a relevé ses manches
pour boxer
Et qu’un troisième s’est armé
d’une bouteille.
Mais l’adjudant-major Rouf des
Vieux de la Vieille,
Un glorieux débris des grenadiers
à pied,
Entreprend d’arranger l’affaire
comme il sied.
Grand ferrailleur, il a l’usage
de la chose.
Très digne et grasseyant, ce sage
s’interpose.
— Présentez-vous d’abord,
messieurs, ordonne-t-il
— Soit... commandant Simon.
— Comte de Hautmesnil
L’enfant est dans un grand
trouble, mais le surmonte.
Sa voix n’a pas tremblé. Bravo !
Le petit comte !
— Au sabre, n’est-ce pas ?...
Vous êtes cavaliers
Tous deux, reprend le vieux
Nestor des grenadiers.
— Au sabre.
— Pour demain, neuf heures, à
Grenelle,
Au " Grand Vainqueur
"... C’est un cabaret à tonnelle...
Le patron a servi... C’est un
" égyptien "...
J’y joue au cochonnet... Nous
serons là très bien.
C’est dit. Chacun reprend une
pose correcte.
D’un regard noir, encore une
fois, l’on s’inspecte.
Puis ce sont des saluts faits
d’un air de hauteur
— A demain donc, messieurs.
— Serviteur
— Serviteur!
Hautmesnil !...
L’ancien guide est dans sa pauvre
chambre.
Pas de feu, bien qu’on soit en
plein mois de décembre.
Les mains au dos, baissant le
front d’un air pensif,
Il marche à pas pesants, tel
qu’un fauve captif.
La chandelle des six qui coule
sur la table
Projette durement cette ombre
formidable
Sur la muraille où sont pendus
des pistolets
Et des sabres. Le froid taudis,
les meubles laids,
Tout lui rappelle ici sa misère
et sa chute.
Mais non. Il semble avoir oublié
la dispute.
Plus de colère. Il songe, et son
rude profil
S’adoucit, quand tout bas il
redit : « Hautmesnil! »
Et voilà, dans son cœur de vieux
chien de guérite,
Le lointain souvenir que ce nom
ressuscite.
Sous la Terreur, au temps des
échafauds rougis
Sans relâche, il était maréchal
des logis.
Son escadron campait aux environs
de Nantes,
Où Carrier — ces horreurs, de
loin, sont surprenantes
Se gorgeait, tigre affreux, de
sang frais, tous les jours.
On arrêtait tous les suspects aux
alentours.
Or, un matin, — Simon croit s’y
trouver encore —
Un gredin, ceinturé d’un haillon
tricolore,
Avec le regard faux et lâche des
mouchards.
Vient au chef d’escadron réclamer
deux hussards
Pour conduire au chef-lieu la
ci-devant comtesse
De Hautmesnil, avec consigne très
expresse
De la tenir de près et de la
surveiller;
Et Simon est requis avec un
cavalier
De ses amis, un très bon garçon
qu’il estime.
Il se rappelle bien la touchante
victime,
Si jeune, ayant l’air moins
malheureux qu’étonné
Et présentant le sein à son fils
nouveau-né.
Qui, justement, venait de
réclamer sa goutte.
L’ordre est formel. Tous trois se
mettent donc en route.
Elle marchant à pied entre les
deux chevaux.
C’était en mai. Les champs
couverts de blés nouveaux
Verdoyaient, les buissons étaient
pleins de fauvettes.
La « ci-devant », avec ses
souliers à bouffettes.
Bientôt boita, très lasse, — et
c’était monstrueux,
Celle misère-là dans ce printemps
joyeux ! —
On fit halte un instant et Ton
mit pied à terre.
S’appuyant sur un tronc d’arbre,
la pauvre mère
Pleurait en regardant son enfant
endormi.
Simon n’y tenant plus, prit à
part son ami
Et dit :
— Si nous sauvions cette
jeunesse?...
— Diantre !
— Je sais bien, nous risquons dix
balles dans le ventre ;
Mais c’est la guillotine, à
Nantes, qui l’attend.
Le commandant est un cœur d’or.
En lui contant
Une escarmouche avec les Blancs
ou quelque histoire
Semblable, j’en suis sûr, il
feindra de nous croire...
Ce tendron-là n’a pas trahi la
nation.
Va, mon vieux, ce sera ta
meilleure action.
D’ailleurs, je suis ton chef...
Cette affaire est la mienne,
Je commande.
Chevau-Leger de la Maison du Roi
— Ça va. Lâchons la citoyenne,
Fit le hussard, avec son petit
citoyen...
On n’est pas des bourreaux, après
tout. Je veux bien.
Quand le sous-officier vint vers
la prisonnière
Et lui dit rondement la chose, à
sa manière,
— Rien ne pourra jamais lui
l’aire oublier ça ! —
Elle prit follement sa main et la
baisa.
— Libres, mon fils et moi !
Libres!
Quel cri de joie!
— Pars vite, citoyenne. Il ne
faut pas qu’on voie
Nos adieux... Tu n’as pas
d’argent?
— Non.
— As-tu faim?
— Oui.
— Je n’ai que huit sous et ce
chanteau de pain.
Prends !
— Vos noms... Je prierai tant
Dieu pour qu’il vous aime.
— Nos noms?... Bah! il les sait,
bien sur, l’Être Suprême.
Crois-tu trouver un gîte?
— Oui. Là, vers le clocher,
Logent de bonnes gens qui
pourront me cacher.
— Cours-y!
— Mes chers sauveurs ! . . .
— Bonne chance, la belle...
Adieu.
Les cavaliers se remettent en
selle
Et reviennent au camp où le chef
d’escadrons
Accueille leur récit, d’abord,
par des jurons ;
Puis, devinant le fait qu’il faut
que nul ne sache,
Il sourit, doucement ému, sous sa
moustache.
Telle est sa généreuse action de
jadis
Dont se souvient le vieux soldat
dans son taudis.
Et de sa violence, à présent, il
a honte.
— Hautmesnil, oui, c’est bien le
nom. Ce jeune comte
Avec qui je me bats, demain, au
" Grand Vainqueur ",
C’est l’enfant que j’ai vu,
tétant de si bon cœur.
Voilà vingt-trois ans... Oui,
c’est à peu près son âge...
Je retrouve les traits, dans son
joli visage.
De celle qui marchait entre les
deux hussards...
Nous nous battons demain. . . Ce
sont là des hasards
Comme monsieur Ducray-Duminil en
invente...
Mais — j’y songe — sa mère est
encore vivante.
Naguère, en un journal, j’ai vu
son nom cité
Pour je ne sais plus quelle œuvre
de charité.
Quel coup du sort!... Ainsi cette
pauvre mâtine
Qui, sans moi, s’en allait droit
à la guillotine,
Demain, je lui tuerai peut-être
son enfant!...
Jamais! Jamais!... Je vois encore
la « ci-devant »
Couvrir ma grosse main de baisers
et de larmes...
Ce galopin doit être une mazette
aux armes,
Et c’est très dangereux mes coups
de vieux troupier.
Me voilà bien! Comment sortir de
ce guêpier?...
Oui, Buonaparté... C’est vrai, «
l’Ogre de Corse »...
Il l’a dit... Tout enfant, ces
nobles, on les force
D’insulter bêtement notre pauvre
Empereur...
Mais — soyons franc — j’eus tort
de me mettre en fureur.
L’affaire cependant ne peut finir
qu’au sabre.
S’expliquer? Non... L’enfant a du
sang, il se cabre
Sous l’éperon. Quand j’ai sur lui
levé la main.
Nom d’une pipe! Il s’est bien
tenu, le gamin.
Sur la planche, en trois mois,
j’en ferais un artiste.
Quel dommage qu’il ne soit pas
bonapartiste!...
Mais ce n’est pas tout ça… Simon,
vieil animal,
Il faut qu’à ce jeune homme il
n’arrive aucun mal.
La prisonnière en pleurs et
traînant la semelle
Près de ta botte, avec son fils à
la mamelle.
Que ton bon mouvement sauva de
l’échafaud.
Il faut lui rendre intact son
petit, il le faut!...
Simon, ton tour viendra de passer
l’arme à gauche,
Et ta vie, après tout, c’est
bataille et débauche.
A Dieu, cet empereur du ciel — en
qui tu crois,
Allons! — tu montreras tes
blessures, ta croix
D’Austerlitz — c’est beaucoup —
et quelques faits de guerre.
Mais tout cela, mon vieux,
pourrait ne compter guère,
Gendarme de la Garde 1816
Si, de ton cœur, au feu des
bivouacs culotté,
Il ne s’échappe pas une odeur de
bonté!...
Aussi vrai que Marmont est un
traître, je jure
De renvoyer l’enfant sans une
égratignure.
Il dit. La chambre était glacée.
Il frissonna,
Avec un souvenir de la Bérézina
Où la température était —
fichtre! — sévère,
Puis il se mit au lit en songeant
:
— Comment faire?
Au Grand Vainqueur Sinistre
endroit de rendez-vous.
Ce matin il dégèle et le temps
est plus doux,
Mais un grand vent, poussant une
plainte inquiète,
Tourmente les bosquets séchés de
la guinguette
Et roule sur le sol les
feuillages flétris.
Le ciel est encombré de gros
nuages gris.
Et leur foule, là-haut, court, se
bouscule et glisse.
En petite tenue, en bonnet de
police.
Les jeunes officiers sont là,
bientôt rejoints
Par le vieux « demi-solde » et
par ses deux témoins-
Tant de monde épouvante et fait
s’enfuir les poules.
Rouff l’a dit. On sera bien, dans
le jeu de boules,
Pour le combat. On fait donc les
préparatifs.
Tandis que les témoins comparent,
attentifs,
Le poids et la longueur des
sabres d’ordonnance,
Sur le comte qui fait très bonne
contenance,
Simon jette un regard à peu près
paternel.
Pourtant voici l’instant tragique
et solennel.
Les habits sont gênants pour se
battre; on les ôte.
Puis les deux champions, sabre en
main, garde haute,
Se font face et, vraiment, le
contraste est complet
Entre ce fort gaillard et ce
blond gringalet.
Ici rude vigueur, el là chétive
grâce.
— Allez, messieurs, dit Rouff,
enfin, de sa voix grasse.
Certes, pour les grognards,
témoins du commandant.
Ce joli cœur est mort déjà, c’est
évident.
Car, dans plus d’un assaut,
Simon, cambrant le torse,
Leur prouva son sang-froid, sa
souplesse, sa force,
Son coup d’œil infaillible et sa
poigne d’acier.
Il va fendre le crâne à ce fat
officier
Assez fou pour avoir insulté leur
idole.
Mais, soudain, leur regard étonné
se désole.
A quoi pense Simon? Est-ce pour
plaisanter?
Il pare seulement les coups sans
riposter...
L’adversaire pourtant commet
faute sur faute.
Qu’a donc Simon?... Pourquoi
quitter la garde haute?...
Et ce coup! Le gamin le tuait,
pour un peu!...
Le fait-il donc exprès?... Ah!
Touché, sacrebleu!
C’est vrai. Le plus fameux
escrimeur de l’armée,
L’épaule par un grand coup de
sabre entamée,
Vient de laisser tomber son arme
en gémissant.
Il chancelle et son linge est
tout rouge de sang.
Rouff accourt, le soutient, aidé
du camarade.
Mais le vieux grenadier grommelé
une algarade.
— Comme tu saignes!... Mais,
quand même, je t’en veux.
C’est donc vrai! Toi, vaincu,
touché par ce morveux!
Tonnerre!...
Mais Simon, très calme, le
rassure.
— Qu’y faire?. . . On n’en meurt
pas. Ce n’est qu’une blessure
Sur un banc, ses amis, alors, le
font asseoir.
Puis Rouff, avec ses dents,
déchire son mouchoir,
Lave la plaie ouverte et de son
mieux la panse.
Pendant ce temps, le comte ébloui
de sa chance,
Mais décent et, de plus, n’ayant
pas mauvais cœur,
S’efforce de cacher sa fierté de
vainqueur.
Il a remis veste et bonnet jetés
à terre.
Enfin, très froids, après un
salut militaire,
Les officiers du roi laissent là
le blessé.
Simon reste rêveur après qu’ils
ont passé.
Pour ce jeune homme il sent
presque de la tendresse.
Son épaule, que Rouff soigne avec
maladresse.
Lui fait mal, mais ce cœur
généreux est content;
Et, malgré le grognard sans cesse
répétant :
« Blessé par ce clampin... Non,
la chose est trop forte
Un ancien de la garde! Un
chasseur de l’escorte! »
Il se dit que ce duel, pour la
vieille maman, -
Va faire de son fils un héros de
roman.
Et songe, en réprimant une
grimace amère :
— Cela fera plaisir à madame sa
mère.
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