mardi 17 avril 2012

Benjamin Lett.


Benjamin Lett : un terroriste canadien d’autrefois.


Par Ronald Dale, historien et généalogiste qui a liens ancestraux avec Benjamin Lett. Il est l’auteur de The Invasion of Canada: Battles of the War of 1812, Formac, 2011.

Au petit matin du 17 avril 1840, un Vendredi saint, une terrible explosion déchire l’atmosphère paisible du village de Queenston, dans le Haut-Canada (aujourd’hui l’Ontario). Du monument Brock, sous lequel est enterré le général sir Isaac Brock, héros célébré de la guerre de 1812, il ne reste plus que des ruines. Immédiatement, Benjamin Lett, un rebelle irlando-canadien, est accusé d’être à l’origine de cet acte de violence. Mais qui est Benjamin Lett?
En 1798, l’une des nombreuses rébellions irlandaises contre les Anglais prend des allures de guerre civile. Des Irlandais-Unis, des catholiques et des presbytériens se soulèvent – en vain ? dans plusieurs comtés pour bouter les Anglais hors d’Irlande et déclarer l’indépendance du pays. Beaucoup de familles sont divisées : certains de leurs membres se joignent aux rebelles tandis que d’autres se battent pour la Couronne et tentent d’écraser la rébellion. L’insurrection est particulièrement dévastatrice dans le comté de Wexford, et la famille Lett a des membres dans les deux camps.

Scène de la rébellion dans le comté de Wexford.

Au cours de ce soulèvement, selon la tradition orale, Elizabeth Warren, qui a 11 ans, est violée et son frère Benjamin est lynché par d’autres Irlandais. Elizabeth épouse Samuel Lett, du comté de Wexford, et, ensemble, ils ont six enfants, dont Benjamin, né en 1813. Elizabeth Lett ne peut pas supporter la violence sectaire et nourrit une haine féroce envers les officiers de la milice locale qui ont fermé les yeux sur les excès commis pendant le soulèvement de Wexford. Elle transmet cette haine au jeune Benjamin.
En 1819, la famille émigre pour s’établir dans le Bas-Canada (Québec). Cinq ans plus tard, Samuel se tue dans un accident agricole, laissant Elizabeth seule pour tenir la ferme et élever ses jeunes enfants. En 1833, elle déménage à Darlington, dans le Haut-Canada.
Quand la rébellion éclate dans le Haut et le Bas-Canada en 1837, Benjamin travaille à la ferme de sa mère. William Lyon Mackenzie déclenche la rébellion dans le Haut-Canada en tentant ? sans succès ? de s’emparer de l’arsenal de Toronto au début du mois de décembre. Mackenzie s’enfuit aux États-Unis, puis envahit l’île Navy sur le Niagara et, le 14 décembre, y proclame la République du Haut-Canada.


Il est vraisemblable que, en 1837, Benjamin sympathise avec les rebelles, mais sans prendre une part active au mouvement. À Darlington, des membres de la loge orangiste locale, une société anticatholique et probritannique de droite, battent le rappel pour nettoyer la région des sympathisants rebelles. Les orangistes persécutent la famille Lett parce qu’elle refuse de se joindre activement à l’organisation. Benjamin perd pied. Il quitte la maison pour se joindre à l’armée rebelle de Mackenzie sur l’île Navy.

Milicien Loyaliste 1838.

L’incident du Caroline

Dans l’île Navy, les rebelles creusent des tranchées et des épaulements pour les canons afin de se défendre contre une éventuelle attaque britannique. Du ravitaillement et des renforts sont envoyés depuis Buffalo, dans l’État de New York, sur le vapeur Caroline. Le 29 décembre, un petit détachement canadien sous le commandement du capitaine de la Marine royale Andrew Drew capture le Caroline, y met le feu et laisse le bateau se fracasser dans les chutes du Niagara. Une semaine plus tard, un détachement d’artillerie de la milice commence à bombarder l’île Navy. Le bombardement se poursuit pendant dix jours et finit par forcer les rebelles à battre en retraite.
Les forces rebelles poursuivent l’invasion ailleurs et sont défaites aux batailles de l’île Fighting et de l’île Pelee, près de Windsor, en février et mars 1838. Lett participe aux deux actions et partage vraisemblablement la frustration que cause l’échec répété des actions armées de type militaire. Cette frustration le conduit à commettre une série d’actes individuels de terrorisme.
Le capitaine de la milice Ussher Edgeworth, qui a participé à l’incident du Caroline, est la cible du premier acte de terrorisme de Lett. La nuit du 16 novembre 1838, il quitte Buffalo, traverse le Niagara et abat Ussher sur le seuil de sa maison près du village de Chippawa, dans le Haut-Canada. L’assassinat fait des remous. Le lieutenant-gouverneur sir George Arthur offre une récompense de 500 £ (l’équivalent d’environ 60 000 dollars canadiens d’aujourd’hui) pour l’arrestation de Lett, qu’on connaît désormais comme « le Rob Roy du Haut-Canada... toujours à rôder à la frontière, à ourdir et à commettre toutes sortes de méfaits ». Il est soupçonné d’avoir comploté la destruction de la flotte britannique du lac Ontario dans le port de Kingston en janvier 1839 et d’avoir lancé une opération éclair manquée sur Cobourg en juin, dans l’intention d’enlever des citoyens en vue qui avaient eux aussi été impliqués dans l’incident du Caroline.
En juin 1840, Lett est à Oswego, dans l’État de New York. Quand une bombe explose à bord du Great Britain, un vapeur canadien, on lui attribue la responsabilité de cette tentative de destruction. Il est arrêté et condamné à une peine de 7 ans, à purger à la prison d’État d’Auburn, dans l’État de New York. Il s’évade du train qui l’emmène à Auburn, et sa cavale dure 15 mois.
Recherché par les autorités britanniques et américaines, les chasseurs de prime à ses trousses, Lett pose la bombe qui endommage irrémédiablement le monument Brock. Si Brock est porté aux nues par les Loyalistes du Haut-Canada, certains voient dans son monument un symbole de l’arrogante milice loyaliste et de la domination britannique. C’est une cible idéale pour assouvir une vengeance. Treize années s’écouleront avant qu’un nouveau monument puisse être érigé pour remplacer celui détruit par Lett.
Dernières années d’un terroriste
En septembre 1841, Lett est à Buffalo, où il est reconnu et appréhendé par les autorités. On l’emmène à la prison d’Auburn pour qu’il y purge la peine prononcée 15 mois plus tôt. Derrière les barreaux, sa santé se détériore. En 1845, une affection pulmonaire l’affaiblit tellement que ses jours semblent comptés. De nombreux New-Yorkais en vue demandent au gouverneur de relâcher Lett, et c’est finalement chose faite le 10 mars 1845.
Sa vie de terroriste derrière lui, Lett rejoint certains membres de sa famille qui ont quitté le Canada pour l’Illinois. Au début du mois de décembre 1858, Benjamin tombe gravement malade, peut-être empoisonné par un agent de la Couronne britannique. Il meurt le 9 décembre. Il est enterré dans le cimetière familial à Northville, dans l’Illinois.
Les rébellions dans le Haut-Canada et le Bas-Canada en 1837 et 1838 ont joué un rôle majeur dans l’obtention du gouvernement responsable dans le Haut et le Bas-Canada. Toutefois, les actes de terrorisme de Benjamin Lett n’ont pas contribué à ce résultat. Alors que d’autres rebelles sont célébrés comme des héros de l’établissement de la démocratie dans l’Amérique du Nord britannique, Benjamin Lett est entré dans l’histoire comme le scélérat qui a détruit le monument Brock.

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