lundi 16 juillet 2012

L'école en Irlande du Nord.


L'école en Irlande du Nord.



Par Charlotte Chabas dans Le Monde.fr du 30 janvier 2012.


Dernier cours avant le week-end dans la petite école primaire catholique pour jeunes filles "Star of the sea", située dans le quartier de Falls Road, au nord de Belfast. Dans la classe de Monique Lambertz, des CE2 étudient en silence leur manuel pour comprendre les subtilités des sacrements chrétiens, "un fondement de notre précieuse religion", souligne l'enseignante. Quand la sonnerie retentit, les 286 fillettes se ruent vers la sortie de l'école, tristement encadrée par des rouleaux de fils barbelés.
Dans ce bastion catholique de la ville de Derry, on ne recense aucun écolier protestant. En Irlande du Nord, la majorité des écoles perpétuent une séparation historique qui a pourtant fait tant de morts par le passé. Une "séparation dès le plus jeune âge qui rend impossible toute réconciliation de fond entre les communautés protestante et catholique", pour Adrian Gulke, politologue à la Queen's University of Belfast.

"QUELLE VERSION DE L'HISTOIRE ?"

"Etant donné nos divisions historiques, je pense qu'il est difficile de construire un pays uni si nous continuons à éduquer nos jeunes enfants de manière séparée", avait déclaré en avril 2011 le premier ministre, Peter Robinson. Pourtant, selon les études, 94 % des enfants protestants fréquentent toujours des écoles de leur communauté, contre 92 % pour les jeunes catholiques.

Pour Vonnie Hunter, volubile principale de l'école primaire "Star of the sea", les parents privilégient toujours les écoles associées à leur communauté, "par tradition, mais aussi parce qu'il existe toujours dans la mentalité nord-irlandaise l'idée que sa religion apporte les meilleurs valeurs pour éduquer des enfants". Dans son école comme dans toutes celles d'Irlande du Nord, les instituteurs ont dû se faire délivrer un "certificat d'éducation religieuse" pour avoir le droit d'enseigner. "Une preuve de sérieux pour beaucoup de parents, tandis qu'ils ne connaissent pas les références des enseignants dans les écoles mixtes."

Anna Murlock, 43 ans, habite depuis toujours dans le quartier protestant de Shankill. Pour cette mère de famille de trois jeunes filles, il aurait été "inconcevable" de scolariser ses enfants dans une école qui mélange les deux communautés. "Notre pays a des antécédents particulièrement lourds. Comment je saurais quelle version de l'histoire de l'Irlande du Nord est enseignée à mes enfants ?"

DES "AMIS CATHOLIQUES", UN MOYEN "D'APPRENDRE"

Les écoles mixtes ne déméritent pourtant pas au niveau des résultats scolaires. Paul, 14 ans, fréquente la brillante "Royal Belfast Academical Institution", une "grammar school" pour jeunes hommes de 11 à 17 ans. Un choix fait par ses parents, "moins par préoccupation communautaire que pour la réputation de l'école", explique-t-il. Mais le jeune homme, qui fréquentait auparavant une école primaire protestante, reconnaît que "certaines choses ont changé dans ma vision des communautés, j'ai appris beaucoup de choses depuis que j'ai de vrais amis catholiques".
Selon la sociologue Bernadette Hayes, qui s'est penchée sur l'influence des écoles mixtes sur les orientations politiques, "65 % des protestants qui sont passés par une école mixte se disent en faveur d'une union avec la Grande-Bretagne, contre 80 % dans le reste de la population protestante. Chez les catholiques, 35 % des écoliers ou anciens écoliers d'établissements mixtes sont pour une République unie d'Irlande, contre 51 % en général." Un pourcentage qui montre une certaine inertie des mentalités, mais donne les premiers signes d'une évolutions vers la réconciliation nationale.

DES ÉCOLES MIXTES TOUJOURS RARES

Développées depuis 1989, les écoles mixtes restent encore peu fréquentes dans le pays. William Fague, catholique, père de deux garçons de 6 et 12 ans, avait toujours pensé scolariser ses enfants dans une école mixte. "Symboliquement, c'était un engagement fort pour moi de me dire que mes gosses allaient jouer aux billes avec des petits protestants", raconte-t-il.

Mais avec la distance et le manque de transports en commun pour rejoindre l'école mixte la plus proche, "il fallait que mon aîné se réveille une heure avant son réveil habituel. C'est dur à cet âge-là de sentir qu'on les prive de sommeil au nom de ses propres principes". Trois mois après son inscription, Tom Fague a dû changer d'école.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire