L'école en Irlande du Nord.
Par Charlotte Chabas dans Le Monde.fr
du 30 janvier 2012.
Dernier cours avant le week-end
dans la petite école primaire catholique pour jeunes filles "Star of the
sea", située dans le quartier de Falls Road, au nord de Belfast. Dans la
classe de Monique Lambertz, des CE2 étudient en silence leur manuel pour
comprendre les subtilités des sacrements chrétiens, "un fondement de notre
précieuse religion", souligne l'enseignante. Quand la sonnerie retentit,
les 286 fillettes se ruent vers la sortie de l'école, tristement encadrée par
des rouleaux de fils barbelés.
Dans ce bastion catholique de la
ville de Derry, on ne recense aucun écolier protestant. En Irlande du Nord, la
majorité des écoles perpétuent une séparation historique qui a pourtant fait
tant de morts par le passé. Une "séparation dès le plus jeune âge qui rend
impossible toute réconciliation de fond entre les communautés protestante et catholique",
pour Adrian Gulke, politologue à la Queen's University of Belfast.
"QUELLE VERSION DE
L'HISTOIRE ?"
"Etant donné nos divisions
historiques, je pense qu'il est difficile de construire un pays uni si nous
continuons à éduquer nos jeunes enfants de manière séparée", avait déclaré
en avril 2011 le premier ministre, Peter Robinson. Pourtant, selon les études,
94 % des enfants protestants fréquentent toujours des écoles de leur
communauté, contre 92 % pour les jeunes catholiques.
Pour Vonnie Hunter, volubile
principale de l'école primaire "Star of the sea", les parents
privilégient toujours les écoles associées à leur communauté, "par
tradition, mais aussi parce qu'il existe toujours dans la mentalité
nord-irlandaise l'idée que sa religion apporte les meilleurs valeurs pour
éduquer des enfants". Dans son école comme dans toutes celles d'Irlande du
Nord, les instituteurs ont dû se faire délivrer un "certificat d'éducation
religieuse" pour avoir le droit d'enseigner. "Une preuve de sérieux
pour beaucoup de parents, tandis qu'ils ne connaissent pas les références des
enseignants dans les écoles mixtes."
Anna Murlock, 43 ans, habite
depuis toujours dans le quartier protestant de Shankill. Pour cette mère de
famille de trois jeunes filles, il aurait été "inconcevable" de
scolariser ses enfants dans une école qui mélange les deux communautés.
"Notre pays a des antécédents particulièrement lourds. Comment je saurais
quelle version de l'histoire de l'Irlande du Nord est enseignée à mes enfants ?"
DES "AMIS CATHOLIQUES",
UN MOYEN "D'APPRENDRE"
Les écoles mixtes ne déméritent
pourtant pas au niveau des résultats scolaires. Paul, 14 ans, fréquente la
brillante "Royal Belfast Academical Institution", une "grammar
school" pour jeunes hommes de 11 à 17 ans. Un choix fait par ses parents,
"moins par préoccupation communautaire que pour la réputation de
l'école", explique-t-il. Mais le jeune homme, qui fréquentait auparavant
une école primaire protestante, reconnaît que "certaines choses ont changé
dans ma vision des communautés, j'ai appris beaucoup de choses depuis que j'ai
de vrais amis catholiques".
Selon la sociologue Bernadette
Hayes, qui s'est penchée sur l'influence des écoles mixtes sur les orientations
politiques, "65 % des protestants qui sont passés par une école mixte se
disent en faveur d'une union avec la Grande-Bretagne, contre 80 % dans le reste
de la population protestante. Chez les catholiques, 35 % des écoliers ou
anciens écoliers d'établissements mixtes sont pour une République unie
d'Irlande, contre 51 % en général." Un pourcentage qui montre une certaine
inertie des mentalités, mais donne les premiers signes d'une évolutions vers la
réconciliation nationale.
DES ÉCOLES MIXTES TOUJOURS RARES
Développées depuis 1989, les
écoles mixtes restent encore peu fréquentes dans le pays. William Fague,
catholique, père de deux garçons de 6 et 12 ans, avait toujours pensé
scolariser ses enfants dans une école mixte. "Symboliquement, c'était un
engagement fort pour moi de me dire que mes gosses allaient jouer aux billes
avec des petits protestants", raconte-t-il.
Mais avec la distance et le
manque de transports en commun pour rejoindre l'école mixte la plus proche,
"il fallait que mon aîné se réveille une heure avant son réveil habituel.
C'est dur à cet âge-là de sentir qu'on les prive de sommeil au nom de ses
propres principes". Trois mois après son inscription, Tom Fague a dû
changer d'école.
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