RAOUL RIGAULT
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Afin de me donner la posture la plus lucide devant l’affable personnage qui décidément à quelque chose à me dire, j’allume la cigarette et ferme les yeux. Et la stupéfaction, j’entends un mot qui m’extirpe de ma soulerie. « Foutre ! Enfin un citoyen attentif, ce n’est pas trop tôt. » Abasourdi devant le spectre qui vient se dresser devant moi, je ne réponds pas. « Ce coin pullule de décérébrés gommeux qui me rient à la barbe ». Et quel barbe ! Le petit homme qui pose fièrement devant moi, dévore la rue de sa barbe imposante, qui ne laisse au visage pour respirer, outre son front, que les deux petits éclairs gras de ses lorgnons, majestueusement posés devant ses yeux. L’aspect de son corps, sorte de loque flottante n’en est pas moins édifiant.
C’est une sorte de coloriage sale et râpé d’un vieil uniforme de commandant fédéré, sur lequel pendent horriblement des bouts de chairs sanglants, des bouts de cervelles qui s’échappent d’un trou béant sur sa tempe, sa cervelle !
Chef de file de la Bohème révolutionnaire, Hébertiste entêté jusqu’à la caricature, Raoul Rigault était dans les dernières années du second Empire, l’homme le plus connu du quartier latin.
Il se distinguait comme un violent orateur et comme un des principaux meneurs des étudiants contestataires, et cela dans toutes les agitations politiques, chauffant le public (c’était son mot) à la Closerie des lilas, à la Reine Blanche, dans les brasseries, les estaminets borgnes et jusque dans les bals public, comme le Bullier (où à la sortie de celui-ci, on le voyait danser la carmagnole devant la statue du Maréchal Ney).
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En effet Raoul Rigault professait pour cette période une admiration sans borne, vouant au pilori les révolutionnaires trop timides ou corrompus comme Danton ou Robespierre, réservant toute son admiration, son respect pour Ronsin, Clootz, Rossignol, Chaumette et oserais-le dire son culte pour Hébert, largement entretenu par le livre sur les hébertistes de Gustave Tridon, bras droit de Blanqui. Il avait même conçu les plans d’une guillotine à batterie électrique, selon lui capable de trancher les têtes de 500 réactionnaires à la minute.
Avant la Commune de 1871, Rigault était un militant blanquiste confirmé et cela malgré son jeune âge (24 ans) et sa forte personnalité un brin mégalomane qui lui attirait la haine et la méfiance de beaucoup. Désireux d’assurer la liaison entre les ouvriers et les étudiants blanquistes, il était de tous les tumultes, de toutes les manifestations d’opposition contre le régime impérial et avait lancé 2 journaux. Le Barbare (journal matérialiste et littéraire dans lequel il s’exprimait ainsi : « Ennemi déclaré des escobards et des tartuffes, il les poursuivra sans relâche pour leur arracher leur masque dont ils se parent, et exposer au public leur faces de suspect et de traitres. » puis Le Démocrite (et non le Démocrate où il déclarait « Un athée digne de ce nom a une foi qui en vaut bien une autre, la foi en l’humanité » ). Il écopa ainsi d’une dizaine de condamnations.
Cette proximité involontaire avec les services de sureté, lui donna l’idée d’en étudier tous les secrets, tous les rouages. Tenant des fiches et des dossiers précis, il était capable et il l’a prouvé, de repérer n’importe quel indicateur ou mouchard de la police impériale qui tentait d’infiltrer une réunion.
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S’entourant d’une équipe de choc, issue pour la plupart de la bohème du Quartier et/ou du milieu blanquiste, comme son propre secrétaire Gaston Da Costa (qui une fois sous les verrous, craquera devant le police Versaillaise et balancera nombre de planques de communards en fuite dont celle du brave Protot qui par chance aura le temps de s’éclipser à temps), Rigault fit preuve d’un anti cléricalisme viscéral, il multiplia les perquisitions dans les églises, les couvents ainsi que les vexations à l’égard du clergé, principale soutien du régime honni. On a retenu - entre autres- cette anecdote amusante d’un interrogatoire mené par Rigault à l’encontre du jésuite Ducoudray suspecté de sympathie Versaillaise. Quand le délégué à la sureté lui demanda sa profession, l’autre lui répondit « serviteur de Dieu », Rigault renchérit en lui demandant ou habitait son maître, le curé répondit « partout ». Il ne restait à Rigault qu’à dicter a son greffier : « Ecrivez ! Ducoudray, serviteur d’un nommé Dieu en état de vagabondage. »
Rigault s’est également épuisé a éplucher tous les fichiers de l’ancienne police, démasquant ainsi certains vieux militants révolutionnaires « retournés » et travaillant pour la police impériale depuis de nombreuses années. Il y avait en outre fort à faire, car la capitale, des cafés de boulevard jusqu’aux bureaux même de l’état-major de la garde nationale, fourmillait d’espions et d’agents secrets à la solde de Versailles. Agacé par ce qu’elle considérait comme des excès, la Commune le destitua pour le nommer Procureur.
On a beaucoup glosé de l’action de Rigault à la tête de la
police communarde, de ses légèretés, de son fanatisme et cela aussi bien chez
les Versaillais que dans ses propres rangs. Pour sûr c’était un fanatique et il
avait raison, il savait que les Versaillais allaient réprimer l’insurrection
dans un bain de sang. La guerre civile était là qu’on le veuille ou non et il
eu mieux valu pour les communards de la faire à fond, de ne pas paraître aussi
naïfs qu’ils l’ont parfois été. Raoul Rigault était un homme à poigne dont les
déclarations parfois extrémistes, enflammées, furent plus intelligentes et plus
justes que celles de ses médisants qui se cachèrent quand l’orage arriva. En
effet, le 24 mai 1871 alors que les premières unités de l’armée Versaillaise
étaient en vue du quarter latin, son quartier, Raoul Rigault endossa son
uniforme aux revers écarlate de commandant de la Garde Nationale, qu’il n’avait
mis qu’une fois jusqu’à ce jour fatidique.
A ses amis, dont Vuillaume journaliste au Père Duchêne qu’il rencontra aux alentours de la Sorbonne et qui ne purent s’empêcher de sourire le voyant ainsi attifé, la barbe et les binocles sous le képi à grenade d’argent, il affirma en riant : « SI ON MEURT, IL FAUT AU MOINS MOURIR PROPREMENT. CA SERT POUR LA PROCHAINE. » Il ne pouvait si bien dire. On le vit courir vers une mort certaine, qu’on eu pu prendre pour un suicide déguisé, symbole d’un romantisme malsain, propre à d’autres communards comme Flourens, Delescluze ou Varlin. Quelques heures plus tard, après avoir combattu autour de la rue Soufflot, il était capturé devant l’hôtel Gay-Lussac. Les soldats, certains d’avoir fait une bonne prise, voulurent le conduire à la cour martiale qui siégeait au Luxembourg.
Et c’est là, à l’angle de la rue Gay-Lussac et Royer-Collard, qu’un sous- officier lui demanda de crier « A bas la Commune ». Après un dernier rictus de dédain, Raoul Rigault s’écria « Vous êtes des assassins, VIVE LA COMMUNE ! » Il tomba instantanément, foudroyé par le soudard qui lui déchargea son revolver dans la tête, le sang de sa cervelle arrosant le pavé.
A ses amis, dont Vuillaume journaliste au Père Duchêne qu’il rencontra aux alentours de la Sorbonne et qui ne purent s’empêcher de sourire le voyant ainsi attifé, la barbe et les binocles sous le képi à grenade d’argent, il affirma en riant : « SI ON MEURT, IL FAUT AU MOINS MOURIR PROPREMENT. CA SERT POUR LA PROCHAINE. » Il ne pouvait si bien dire. On le vit courir vers une mort certaine, qu’on eu pu prendre pour un suicide déguisé, symbole d’un romantisme malsain, propre à d’autres communards comme Flourens, Delescluze ou Varlin. Quelques heures plus tard, après avoir combattu autour de la rue Soufflot, il était capturé devant l’hôtel Gay-Lussac. Les soldats, certains d’avoir fait une bonne prise, voulurent le conduire à la cour martiale qui siégeait au Luxembourg.
Et c’est là, à l’angle de la rue Gay-Lussac et Royer-Collard, qu’un sous- officier lui demanda de crier « A bas la Commune ». Après un dernier rictus de dédain, Raoul Rigault s’écria « Vous êtes des assassins, VIVE LA COMMUNE ! » Il tomba instantanément, foudroyé par le soudard qui lui déchargea son revolver dans la tête, le sang de sa cervelle arrosant le pavé.
D’un coup profitant de mon désarroi, le fantôme ricanant, m’enveloppe de son manteau tragique, et manque de me faire vaciller. Instantanément, je sens le fluide de son extraordinaire présence me refouler face au mur qui borde le trottoir sur lequel il y a encore une seconde, je titubais. Considérant la pierre, j’y remarque stupéfait, des excavations circulaires qui sans nul doute proviennent de coups de feu tirés.
Datent-elles du printemps 71 ? Je veux dire de ce printemps 1871, le plus pur, le plus terrifiant.
Ce qui m’intrigue le plus, c’est que je suis certain que ces marques ne se voyaient pas avant l’arrivée de mon fantôme. Putain, mon métro ! Un instant, l’amère réalité quotidienne revient me secouer à la surface de cette invraisemblable histoire. Je tente d’expliquer à Raoul Rigault que la RATP ne badine pas avec les horaires…surtout quand il s’agit des dernières rames de la nuit.
Celui-ci est bien déterminé à ne pas me lâcher.
Dans un langage émasculé, ponctué d’injures de toutes sortes, propres à faire rougir une compagnie de jésuite et qui déchirent la robe de cette belle nuit, Raoul Rigault m’expose ses occultes desseins. Il veut réveiller tous les morts de la Commune, 30 000 me dit-il, pas moins il en est sûr, il les voit. Ils sont partout, sous les pavés, sous la terre des parcs et des squares, il n’en démord pas. Les femmes qui crachaient sur les officiers, les hommes qui insultaient le peloton d’exécution, cigare au bec, tous les fusillés. Il insiste pour que je lui dégote un ballon, une montgolfière vous comprenez ? Sur son ballon il s’imagine semer sur la capitale et la banlieue des milliers de bouquets d’immortelles, pour réveiller le grand troupeau des morts au front rouge, les morts de 1871. Je me demande s’il délire.
Je ne sais plus où je suis, complètement rivé à son crin féroce, à cette barbe dont le charme apotropaïque me fascine. Il me parle du fantôme de Gustave Maroteau, ce pimpant christ de la révolution mort en déportation, qui peine à revenir en France à dos de Baleine. Je me rends compte qu’il est fou mon fantôme, complètement allumé et que je commence à aimer sa folie. Il me dit encore que son cœur se soulève de dégoût quand il voit toute cette populace vaquer tranquillement à ses occupations, l’indifférence des passants envers ces ruelles où sont tombés contre les murs sales, tant des siens. Il me fait l’impression étourdissante d’un félin hirsute, blessé à mort, errant, cherchant un refuge dans ce Paris qui a tant changé depuis 1871, mais qui reste voué à l’éternel retour. De son doigt translucide, je le vois désigner l’assassin, pointer la couronne céleste de l’obscurité. Mais il rit, il rit toujours Raoul Rigault, de ces éclats qu’il mêle à son vieux cri de guerre estudiantin « HAHU ! BAHU ! », de ce rie conspirateur et insolent qui me glace le sang et tourne la page de la nuit. Plus de métro.
Il n’y a bien qu’une rencontre fortuite avec une créature de l’autre sexe (inutile au demeurant) ou avec le fantôme d’un illustre passé, qui puisse ne pas vous faire regretter d’avoir raté le dernier métro.
Depuis cette apparition, car il ne fait aucun doute que je ne divaguais pas, Raoul Rigault sait me retrouver chez moi et s’assied souvent à mes côtés, sa barbe et ses âcres jurons foulant ma solitude. Je lui sers selon son humeur une limonade ou une bonne absinthe qu’il savoure allégrement jusqu’à l’aube des pages rouges. Nous partageons ainsi nos indignations, nos doux caprices et surtout nos haines avant d’endosser chacun de notre côté, ce mutisme fier et cynique qui nous arme et fait de nous des êtres dédaigneux, des gamins vagues, maudits par le temps.
Depuis, je porte en moi quelques pincées de la propre mort de Raoul Rigault, un peu de tous ses cadavres venus du ciel pourpre sous la terre de Paris, de ses fusillés aux crânes éclatés, aux poitrines souillées, de ces éclaboussures qui ne sècheront jamais. Et parfois la nuit, je me glisse dans sa peau meurtri, je bats le rappel au néant, de toutes les victimes qui me hantent, je jette l’anathème sur la chaire moderne et sacrée de Paris.
Irréparablement, je suis le rictus de
Raoul Rigault.
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