mardi 12 août 2014

L'armée française à la conquête de l'Algérie - IV

En guise d'entracte, voilà le récit du siège et de la prise de Zaatcha par l'armée française en 1849. Récit tiré des "Carnets de la Sabretache". On retrouvera ici de nombreux points communs avec les combats menés en Inde quelques années plus tard par les britanniques lors de la révolte des Cipayes. Petit siège en règle dans un pays lointain, rigueur du climat, problème d'hygiène et de salubrité qui font que la maladie fait plus de ravages que le feu ennemi, quasi léthargie du commandement entraînant une démoralisation de la troupe qui ne retrouve sa force que dans l'assaut direct...

À cette époque, l'émir Abd El-Kader s'est rendu aux forces françaises en 1847 et le bey de Constantine, Ahmed Bey, réfugié dans le massif de l'Aurès depuis 1837. Cependant, cela n'a pas totalement mis fin aux révoltes.
En mai 1849, le cheikh Bouziane, prétextant la hausse de la taxe sur les palmier-dattiers, harangue les populations. Il affirme avoir reçu un message divin lui commandant de chasser les nouveaux occupants.
Après une tentative d'enlèvement de Bouziane par un lieutenant des affaires arabe], le prédicateur proclame la guerre sainte.
Le 2e régiment étranger d’infanterie, en tournée de police entre Batna et Sétif est envoyé vers Zaatcha...


La prise de Zaatcha - 1849

La relation qui suit est tirée des souvenirs inédits du général de division Le Poittevin de la Croix, comte de Vaubois, grand- croix de la Légion d'honneur, écrits alors qu'il était colonel du 3e tirailleurs, d'après des notes prises au jour le jour. Elle nous a été communiquée par son fils aîné, le capitaine de la Croix-Vaubois, du 13° chasseur.
Le Poittevin de La Croix de Vaubois (Louis- Joseph), naquit à Anvers (Belgique), en mars 1813, d'Anne-Louis-Joseph et de Marie- Thérèse de Visser. Il entra à Saint-Cyr le 18 novembre 1839, à l’École d'état-major, en 1834 ; faute de place dans ce corps, il repassa dans l’infanterie et fit presque toute sa carrière en Algérie où il resta trente ans, successivement lieutenant au 63° d'infanterie, en Algérie ; capitaine au régiment des zouaves; chef de bataillon au 2° bataillon d’infanterie légère d'Afrique ; lieutenant-colonel au 2° tirailleurs ; colonel au 3° tirailleurs; général de brigade, commandant la subdivision de Bône. Il passa, le 3 décembre i866, au commandement de la 2° brigade des grenadiers de la Garde impériale, avec laquelle il fit la campagne de 1870. — Général de division le 27 octobre 1870, il réprima, en 1871, la grande insurrection de la province de Constantine qui lui offrit une épée d'honneur. Il fut retraité le 2a août 1880, après avoir été nommé grand-croix de la Légion d'honneur le 3 février de cette même année.
Il reçut un coup de feu à la tête le 26 novembre 1849 à Tassant de Zaatcha, où il se distingua particulièrement à la tête du bataillon de zouaves dont il avait le commandement. Il fut cité à l'ordre général de l'armée d'Algérie, en date du 4 août 1860, pour avoir assuré le succès de deux engagements dans les ravins des Beni-Mimoun, par l'énergie de ses attaques et ses habiles dispositions pendant l'expédition de la Kabylie orientale où il commandait la 3° brigade d'infanterie.

Le général de la Croix de Vaubois mourut à Paris, le 5 février 1889.


Les faiseurs d'affaires de Biskra s'en étaient attiré une grosse sur les bras en voulant à toute force faire de la fantasia et des bulletins. L'impéritie et le manque d'énergie immédiate des chefs firent le reste. Ils laissèrent se former à Zaatcha un noyau de rébellion que leur faiblesse ne sut résoudre. Des troupes leur arrivèrent de toutes parts sans qu'ils sussent en tirer parti. Bientôt, celles de la division de Constantine ne suffirent plus et on commença par diriger sur cette province le bataillon de zouaves dont je faisais partie. Nous quittâmes Aumale, le 9 octobre, pour Bord-bou-Areridj. De ce point, nous primes la route de Bou-Saada. A la première étape, nous nous joignîmes, pour en faire partie, à la colonne venue de Sétif sous les ordres du colonel de Barrai.  Nous continuâmes ensemble notre route.


Jusqu'alors, Bou-Saada n'avait jamais été occupée par les Français. Le colonel de Barrai réorganisa de nouveau la ville et Toasis et y laissa une garnison d'environ 150 hommes, les plus fatigués ou malingres de la colonne. Prenant ensuite la route du sud, nous passâmes le long des Zibans et arrivâmes devant Zaatcha le 23 octobre.


Nous trouvâmes des troupes démoralisées par des insuccès continus, par un service très fatigant, ainsi que par le manque de décision des chefs. Notre arrivée remonta le moral de tous. Dans les quinze jours qui suivirent, arrivèrent d'autres troupes venues d'Alger et de la province d'Oran.
Les troupes augmentaient en nombre, mais le service resta le même : un jour de garde de tranchée sur deux ; le second jour : garde ordinaire, service d'escorte pour le fourrage, le bois ou l'évacuation des malades ou blessés.
Enfin, sur six jours, c'est à peine si on avait un jour de loisir pour se nettoyer dans les intervalles que laissaient libres les distributions de vivres et les soins de propreté du camp. Aussi la santé des troupes s'en ressentait vivement.


Le général n'était pas à hauteur de son commandement. Esprit irrésolu et colère, il ne savait jamais prendre un parti. Ecrasé par sa responsabilité, il trouvait commode de se laisser aller aux idées des chefs du génie et de l'artillerie qui, comme toujours, ne s'entendaient pas entre eux.
Deux fois, on lui déclara que le fossé qui nous séparait de Zaatcha pouvait être franchi. Deux fois, il fit attaquer ; mais, chaque fois, un honteux échec vint témoigner de son impéritie.
Il y eut à cela deux causes : 1 La faiblesse numérique des troupes employées aux attaques. — 2 L'impossibilité de traverser les fossés profonds et non comblés sous le feu de l'ennemi. — Avec plus de monde, l'ennemi aurait été tenu en respect par de bons tirailleurs et l'opération eût réussi.
A une de ces attaques, les soldats de la légion purent s'établir de l'autre côté. On n'osa les appuyer et ils furent obligés de retraverser Je fossé : la moitié des hommes fut tuée dans cette opération.
Vers le 8 novembre, le colonel Canrobert arriva devant Zaatcha, venant d'Aumale, avec un autre bataillon de zouaves et deux escadrons de chasseurs, mais il amena avec lui le choléra qui ajouta ses ravages aux pertes que nous éprouvions par les maladies et le feu de l'ennemi.


Le colonel Canrobert fut indigné de la mollesse des opérations et laissa voir sa manière de penser au général. A partir de ce moment, il y eut plus de vigueur dans les opérations et les zouaves furent employés d'une manière constante. Mon bataillon se réduisait tous les jours sous ces fatigues et ces dangers constants. Combats à la tranchée, combats dans les jardins, combats autour de Toasis se renouvelaient chaque jour.


Le 12, de nouveaux renforts, sous le commandement du colonel de Lourmel, nous arrivent : Les combats de tranchée continuent.
Le 15 novembre, une colonne, dont mon bataillon fait partie, quitte le camp à onze heures du soir. Nous marchons toute la nuit et, à la pointe du jour, nous arrivons sur les nomades qui s'étaient réunis dans l'oasis d'Ourlal, à cinq lieues de Zaatcha. Nous les surprenons quoique couverts par Oued-Djedi, que nous traversons les hommes ayant de l'eau jusqu'aux épaules. Nous nous précipitons, infanterie et cavalerie, sur les cavaliers arabes qui se réunissent promptement, mais rien ne peut résister à nos sabres et à nos baïonnettes. En un instant, nous sommes maîtres j d'une ville de tentes, de 15.000 chameaux et de milliers de moutons. 150 cadavres ennemis restent sur le terrain. Ce succès nous fît du bien. 
Quelques jours après, mon bataillon alla accompagner une évacuation de malades sur Biskra, qui nous parut un lieu de délices quoique dépourvu de tout. Cependant, le choléra, le feu de l'ennemi et les différentes maladies continuaient leurs ravages. En outre, depuis quelque temps, régnait un vent presque continu et très violent du sud-ouest, nous amenant des sables qui nous envahissaient et pénétraient dans tout ce que nous mangions. Le même vent déchaussait les cadavres, les issues des bêtes, etc., de sorte que régnait une odeur affreuse ne laissant aucun repos. Des cadavres ennemis avaient aussi été abandonnés aux abords de Zaatcha et il était impossible de les enterrer.


Toutes ces circonstances agissaient sur le moral du soldat et faisaient augmenter tous les jours le nombre des malades et des morts. — Heureusement que le colonel Canrobert osa exposer la situation au général commandant. — Une plus grande activité fut imprimée aux travaux du siège.
Enfin, le 25 novembre, les têtes de tranchées arrivèrent au fossé et celui-ci fut en partie comblé.
Le 26, à la pointe du jour, trois colonnes se formèrent dans les tranchées et dans les places d'armes : elles étaient commandées par les colonels Canrobert, de Barrai et de Lourmel.


Les deux bataillons de zouaves et le bataillon du 5e chasseurs firent partie de la colonne de droite : colonel Canrobert. Mon fourreau de sabre me gênant, je le jetai dans la tranchée. Au signal d'une décharge générale de toutes les pièces, tous s'élancèrent.
Mon bataillon était en tête et je commandais la 2e compagnie. Nous avions l'ordre de prendre par les terrasses avec les chasseurs, tandis que l'autre bataillon de zouaves prendrait par les rues. On arrive assez facilement sur les maisons; mais, là, nous étions fort maltraités. Le chef de bataillon (de Lorencez) tomba blessé et je pris le commandement. Il fallait prendre chaque maison et y faire descendre successivement du monde. 
Je me portai dans la direction d'une grande maison de laquelle par- tait un feu bien nourri, lequel cessa tout à coup. Le motif était l'arrivée de la tête de colonne de Barrai qui débouchait. Le colonel de Barrai arrivait sans se précautionner, n'entendant aucun coup de fusil. Je l'avertis promptement du danger qu'il courait. Il eut le temps de se masquer avec ceux qui l'accompagnaient, mais les Arabes, dépistés, s'en prirent à moi de ce que leur ruse était éventée et il m'arriva un feu de peloton. Je fus renversé, atteint à la tête, mais sans perdre connaissance. J'avais sans doute la tête dure et mon mouchoir suffit pour la panser provisoirement. Je descendis alors avec ce qui me restait de monde disponible et me dirigeai par la rue vers la maison en question. Précisément, je rencontrai là deux sapeurs du génie. Je les envoyai chercher un sac à poudre, et, en attendant, j'embusquai mon monde.


 Au bout d'un quart d'heure, durant lequel j'avais tiré tant bien que mal sur les meurtrières, mes sapeurs revinrent. Je réussis à placer mon sac contre une porte. En ce moment, arrivait dans une maison voisine et dominant celle que j'attaquais, l'autre bataillon du régiment (commandant de Lavarande). Je l'instruisis en criant de la position et lui dis de se porter à quelque distance en arrière, attendu que j'allais faire sauter la maison; il le fit. 
Je parvins à disposer deux sacs de poudre et à y adapter une mèche à laquelle le feu fut mis. Au bout de deux minutes, une effroyable détonation se fit entendre, abîmant une partie de la maison dans laquelle je me précipitai avec mes hommes. Ce qui s'y trouvait fut passé à la baïonnette. Il y eut un mètre de cadavres. — Quelques Arabes parvinrent à gagner la terrasse ; mais, là, le commandant de Lavarande les attendait. Parmi eux, on reconnut Bou-Zian, le chef des révoltés, le cherif Si-Moussa-ben-Ahmed et quelques meneurs influents qui furent décapités. 
Le commandant de Lavarande s'attribua uniquement la prise de la maison ainsi que celle de Bou-Zian et, dans son rapport, ne fit aucune mention de mon fait d'armes, pas plus que mon chef de bataillon qui, blessé au commencement de l'assaut, s'en rapporta entièrement à son camarade. Le lendemain de la prise, on fit sauter ce qui restait encore debout dans Zaatcha et, quelques jours après (le 28 novembre), nous quittâmes le foyer d'infection qui était devenu un vrai charnier. Deux mois après, j'étais nommé chef de bataillon.

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