BATAILLE DES PLAINES D’ABRAHAM :
MYTHES ET RÉALITÉS
Les deux siècles qui ont suivi la
Bataille des Plaines d'Abraham ont surtout confirmé la défendabilité naturelle
du territoire québécois. La géographie a joué et joue encore un rôle important.
Par JRM Sauvé - TRIBUNE LIBRE 10 mai 2002
Nous avons le devoir de respecter
la mémoire des générations qui nous ont précédés et qui ont trimé tellement dur
pour faire du Québec un des plus beaux pays du monde. Cette réussite est la
nôtre.
Depuis deux siècles et demi, les
United Empire Loyalists et leurs valets exploitent la bataille des plaines
d’Abraham pour semer le défaitisme et le nihilisme dans la population des
descendants des colons de Nouvelle France établis dans la vallée du Saint
Laurent. Ils font de même en Irlande avec la bataille de la Boyne du 12 juillet
1690 et en Écosse avec celle de Culloden le 16 avril 1746. Exploiter
l’ignorance et les peurs ataviques pour se maintenir au pouvoir est une méthode
qui n’est pas encore dépassée dans certains milieux. Au Québec, nous avons
intérêt à réexaminer cette bataille dans son contexte afin de savoir exactement
à quoi nous en tenir à son sujet.
Comme la politique toute guerre,
avec ou sans armes, c’est-à-dire militaire ou diplomatique, est affaire
d’intérêts, de rapports de forces et d’effectivité. Le sentiment et le
ressentiment ne servent qu’à inciter les combattants à poursuivre la guerre
sans se poser de questions sur les enjeux réels qui la motivent ou la
justifient. Toutes les guerres ont pour enjeu le pouvoir et la possession des
richesses, y compris l’inféodation des populations appelées à travailler pour
le prestige et l’enrichissement des vainqueurs. Même les guerres de religion
sont en réalité des guerres de pouvoirs, d’influences et de possessions. Elles
n’ont rien à voir avec la spiritualité. La religion comme telle, qui n’est pas
cause de guerre (casus belli), est exploitée pour augmenter le ressentiment
contre l’adversaire, qu’on veut déposséder ou obliger à plier. Comme l’enseigne
Klauzewitz avec justesse, la guerre est essentiellement un acte de violence
destiné à briser la volonté d’un adversaire et à le soumettre. Non à cause de
sa religion mais à cause de ce qu’il possède ou représente. Les vrais enjeux
sont terre à terre.
L’ACCESSIBILITÉ COMME FACTEUR
Le pouvoir est complètement dans
ses communications. Car pouvoir veut dire pouvoir d’agir avec envergure, de
contrôler et de soumettre et en même temps, de refuser ou d’interdire cette
capacité aux autres. Il est primordial de comprendre cet axiome de base avant
d’aller plus loin.
Comme le pouvoir est complètement
dans ses communications, toutes les batailles, où presque, se produisent dans
les zones de communications des États concernés. Les combinaisons savantes sont
rares et tous les coups, ou presque, sont portés en ligne droite vers
l’adversaire, surtout à cause de la logistique qui gouverne la marche des
armées. De sorte qu’une bataille gagnée ou perdue demeure un incident parmi
beaucoup d’autres dans le jeu quasi perpétuel des rapports de forces et des
intérêts entre États.
S’ils en avaient été capables,
les Anglais et les Loyalistes nous auraient exterminés, comme ils ont tenté
d’exterminer les Irlandais, les Écossais celtiques, les Acadiens et les Boers
d’Afrique du Sud. Le génocide ne dérange pas la conscience anglaise et
loyaliste. Pourtant, selon Klauzewitz, la guerre est un acte de violence
destiné à contraindre un adversaire à exécuter notre volonté. Comme la
politique et la diplomatie, elle est affaire d’intérêts, de rapports de forces
et d’effectivité. Elle a pour objet d’exploiter la richesse productive des
autres, non de les exterminer. Il n’y a de guerre qu’entre États qui disposent
d’une puissance d’action d’envergure, entraînée par leur force d’inertie. En
conséquence, il est très difficile de l’éviter lorsque des intérêts multiples sont
en cause. D’où nécessité d’imposer des principes, des limites et des paramètres
sévères à la guerre, afin de limiter les objectifs à l’essentiel et éviter que
le conflit ne se prolonge pendant des décades et des siècles. Il faut surtout
savoir quand arrêter et retourner aux négociations. En fait, selon le grand
auteur chinois Sun Tsu, l’idéal consiste à gagner une guerre sans lancer une
seule pierre. Mais ce n’est pas toujours possible, surtout lorsqu’on a affaire
à des ambitieux qui se croient supérieurs aux autres, qui veulent dominer le
monde entier et qui exterminent ou tentent d’exterminer ceux qui leur
résistent. Parmi ces ambitieux, bâtisseurs d’empires, les Anglais et les
Loyalistes occupent une place connue dans le monde.
Leur réussite leur vient surtout
du fait que leurs victimes ne savent pas qu’elles possèdent tout ce qui leur
faut pour se défendre, efficacement (à court terme) et effectivement (à long
terme). Par-dessus tout, il leur manque l’État, avec sa puissance d’action, de
même que la volonté et la conscience nécessaires pour réussir avec une économie
maximale de moyens et d’efforts, sans sacrifices inutiles et sans gaspillage de
ressources. D’où nécessité de la discipline collective, seule véritable force
selon Sun Tsu, discipline suivant laquelle chacun abdique de son petit moi
tyrannique pour le bien général.
On ne gagne pas de guerre
organisée avec des tribus et des clans. Il nous faut l’État et nous ne l’avions
pas, les Irlandais et les Écossais non plus. Dans les conditions géographiques,
naturelles et favorables qui leur sont propres, l’Écosse, l’Irlande (au
complet, pas seulement l’Irlande du sud) et le Québec ont tout ce qu’il leur
faut pour être souverains, reconnus et respectés, mais il faut au préalable les
assises de nos propres États.
En effet, si les Anglais et les
Loyalistes n’ont pas réussi, c’est parce que les conditions géographiques,
ethnographiques et historiques leur ont fait obstacle et leur font encore
obstacle. De sorte que maintenant, contrairement à leur intention première,
nous sommes presqu’en position de force devant eux. Nous le serons après la
souveraineté, avec notre propre programme de défense. Les Anglais ont déporté
les Acadiens pour donner leurs terres à leurs propres ressortissants. Avec
nous, Québécois, ils doivent se contenter d’user d’expédients, tels que le
chiffon rouge, la propagande, les lois arbitraires, l’intimidation, le bluff,
la peur devant les conséquences de la bataille des plaines d’Abraham et aussi
de l’intervention armée de 1837-38 avec la déportation des patriotes et
l’exécution de plusieurs autres. Cette peur est entretenue par la propagande
officielle.
Maintenant, cette peur est en
train de se transformer en colère froide et en détermination de notre part
d’agir avec efficacité dans l’instant, tout en prévoyant le long terme. Nous
savons que les réactions primitives ne mènent nulle part. Ce qui compte pour
nous, c’est le fait que, non seulement nous avons survécu à la domination et
aux menaces des Anglais et des Loyalistes, alors que les Irlandais, les
Écossais et les Gallois en ont souffert beaucoup plus que nous, que les
Acadiens ont été déportés comme du bétail, que les Yankees se sont mis en
colère et ont réalisé l’indépendance de leur peuple et la création d’un nouveau
pays, mais ce qui est encore plus important, nous sommes devenus un peuple, une
nation et un État nouveaux dans l’échiquier complexe du monde actuel. Tout ce
que nous avons fait s’est accompli envers et contre l’hostilité outrée des
Anglais et surtout des United Empire Loyalists qui dominent la scène politique
et économique au Canada et qui ne lâcheront pas prise à moins qu’on leur casse
les dents. Une telle réussite vient de notre intraitable détermination de vivre
et d’agir par nous-mêmes, à laquelle s’ajoutent des conditions géographiques,
historiques et formelles favorables à l’exécution de nos projets, conditions
qui ont échappé à nos ennemis séculaires. Voilà pourquoi nous jetons sur la
bataille des plaines d’Abraham un regard technique et froid.
Au Québec, ce qu’on a appelé la
Conquête anglaise et loyaliste ne s’est pas achevée avec la bataille des
plaines d’Abraham. La capture de Québec n’était pas la capture de toute la
Nouvelle France. Huit mois après les plaines d’Abraham, une expédition partie
de Montréal gagna en 1760 la bataille de Sainte-Foy, la dernière contre les
Anglais. Le sud du Québec a résisté encore longtemps par la suite, mais lorsque
de nouvelles armées anglaises, plus nombreuses, sont parties des Treize
colonies pour remonter jusque dans le Saint-Laurent, la poursuite de la guerre
n’était plus possible pour nous. Il a fallu cesser de se battre et attendre les
résultats des tractations diplomatiques qui se passèrent en Europe, au terme de
la guerre de Sept Ans, sans intervention de notre part. Nous étions à cette
époque une population de colons inféodés au gouvernement de Paris, travaillant
pour la Monarchie française et ses intérêts depuis 150 ans, pas encore un
peuple, ni une nation ou un État capable de pourvoir à nos propres intérêts.
En quittant le Saint-Laurent, la
stratégie française avait d’autres plans, qui avaient pour objectifs les
Antilles et le golfe du Mexique, jugés plus favorables à la colonisation et au
développement des intérêts français en Amérique que le golfe Saint Laurent.
C’est pourquoi la France déménagea son centre de gravité en Amérique du nord du
golfe et du fleuve Saint-Laurent par la mer des Antilles et le golfe du Mexique
et par ce chemin la Louisiane et le Mississipi. C’était une erreur, évidente
maintenant que nous examinons les événements avec 242 ans de recul. Mais notre
but n’est pas d’en faire la critique, seulement d’en tirer des leçons pour
nous-mêmes. Par-dessus tout, nous devons savoir jusqu’à quel point la
géographie est importante en stratégie, afin de mieux apprécier le Québec pour
lui-même. Soulignons que, lorsque nous parlons de stratégie, il ne s’agit pas
que de stratégie militaire, mais toute la stratégie d’un État. Qu’elle soit
commerciale, politique, diplomatique ou militaire, la stratégie demeure la même
et obéit aux mêmes principes universaux. Ce qui diffère, c’est la tactique,
mais la tactique a aussi ses principes et il est important de les connaître.
En effet, la périphérie Nord-est
de l’Amérique du nord, qui gravite autour du golfe et du fleuve Saint-Laurent,
est relativement facile à défendre avec un minimum d’efforts et de moyens.
Champlain l’avait réalisé dès les débuts. Par contre, la région est rude,
recouverte d’obstacles naturels, froide et difficile à coloniser et à
développer. Elle n’est pas économique, en ce sens qu’il faut fournir beaucoup
d’efforts, de temps et de dépenses de moyens avant d’obtenir des résultats
plutôt faibles, alors qu’une région naturellement économique, comme par exemple
la côte américaine de l’Atlantique, permet de produire beaucoup avec un minimum
d’efforts et de dépenses. Inversement, les Antilles et le golfe du Mexique
offraient d’indéniables avantages par rapport au Saint Laurent. Une flotte et
une armée françaises sur place en assureraient la défense.
Donc, les stratèges français,
dont Vergennes, ont décidé d’abandonner le Saint-Laurent pour les Antilles et
le golfe du Mexique, plus profitables à court terme. En le faisant, ils
coinçaient les forces françaises entre deux ennemis redoutables : les Anglais
qui occupaient la côte de Nouvelle Angleterre et pirataient vers le sud, et,
les Portugais et les Espagnols s’étaient déjà emparés des régions méridionales.
Tout deux étaient déterminés à garder les territoires concédés par le traité de
Tordesillas, signé entre le Pape Alexandre VI, l'Espagne et le Portugal en
1494.
L’Angleterre et Espagne avaient
intérêt à concentrer leurs efforts dans les Antilles et à en chasser les
Français. La France, au cours des discussions diplomatiques qui ont précédé le
traité de Paris du 10 février 1763, aurait pu reprendre le Saint-Laurent et les
Anglais auraient déménagé leurs forces armées vers le sud, afin de les
concentrer contre les Espagnols. Dans ce cas, la bataille des plaines d’Abraham
n’aurait été qu’un accident de parcours, tant pour les Français, les Anglais et
nous, Québécois, qui avions planté nos racines dans ce pays neuf. De toute
évidence, le golfe Saint-Laurent, dangereux pour la navigation et fermé huit
mois par année par des banquises, n’intéressait personne et Québec non plus,
trop peu habité et développé.
La question qui se pose est
cependant celle-ci : est-ce que la France et l’Angleterre de l’époque a prévu
la révolte des Yankees et la guerre de l’Indépendance américaine? Une guerre ne
surgit pas du jour au lendemain. On peut la voir venir vingt et même trente ans
d’avance. Depuis longtemps, la révolte grondait chez les Yankees, exaspérés par
les abus de pouvoirs de l’Angleterre. Cette révolte n’avait rien à voir avec la
religion puisque les Yankees sont des Anglo-protestants comme les Anglais. La
politique est d’abord affaire d’intérêts et de rapports de forces. Elle n’est
pas toujours caractérisée par l’effectivité, qui consiste à prévoir les
conséquences à long terme de ses décisions et ses actes. Les Anglais se
montrèrent intraitables et ne voulurent ni céder ni dévoluer. Même dans ce cas,
la révolution, qui consiste à chasser une classe politico-économique et la
remplacer par une autre, ne survient pas soudainement, mais peut exiger
beaucoup de temps avant de se manifester et agir. Cela se voit maintenant au
Québec, aux prises avec la classe centraliste et unitaire d’Ottawa. Les peuples
sont amorphes et ne suivent leurs nouveaux dirigeants que lentement. Néanmoins,
en 1760, George Washington, Benjamin Franklin et les autres initiateurs de la
révolution américaine étaient nés, adultes, actifs et conscients des enjeux
coloniaux et des possibilités, faibles mais réelles, de chasser les
Britanniques d’Amérique du Nord et créer un État nouveau. Si les bureaucrates
de Paris et de Londres ne le voyaient pas, les généraux anglais qui
s’activaient sur le terrain devaient s’en rendre compte.
En partant, on ne peut juger
d’une guerre à partir d’une victoire ou une défaite tactique, envisagée hors
contexte. Car une bataille n’est qu’un moment dans une guerre qui se prolonge
loin dans l’espace et dans le temps et dont la durée peut atteindre plusieurs
siècles, quels que soient les traités et les accords qui prétendent y mettre
fin. La bataille des plaines d’Abraham, qui a eu lieu le 13 septembre 1759,
alimente encore le fatalisme, le défaitisme et le nihilisme québécois, toujours
présents dans le discours, sous forme de clichés, métaphores et autres procédés
réductifs, simplistes, lénifiants et débilitants. La même bataille et son
interprétation commode pour les pouvoirs en place, sert utilement les fins des
United Empire Loyalists, héritiers présomptifs du Canada comme du Commonwealth,
qui exploitent la même veine en Irlande, avec la bataille de la Boyne du 12 juillet
1690, et en Écosse, avec la bataille de Culloden du 16 avril 1746.
Ces mêmes Loyalistes, présents
depuis longtemps dans le paysage, ont également tenté d’exploiter la guerre de
l’indépendance américaine et plus tard la guerre des Boers à leur avantage,
mais sans succès. Dans la même perspective, qu’attendons-nous, OUI, NOUS,
Québécois, pour réclamer toute l’Angleterre comme notre possession, puisque nos
ancêtres ont gagné la bataille de Hastings contre les Saxons en 1066, à la
suite de laquelle ils ont dominé la Grande Bretagne pendant quatre siècles. Ce
coup militaire et politique des Normands, Bretons et autres occupants des côtes
de la France maritime, prouve leur exceptionnelle habileté comme entrepreneurs,
tant dans la construction des navires, que la navigation en mer et surtout la
construction de ces pouvoirs de grande envergure qu’on appelle des États.
La bataille des plaines d’Abraham
n’était pas leur affaire à eux, pas plus qu’à nous, Québécois descendants de la
même souche. Elle était l’affaire des politiciens et faiseurs de stratégies de
Paris, que le peuple français n’aimait guère et qu’il a renversés avec grande
fureur trois décades plus tard, après de nouvelles erreurs intolérables. Les
grands personnages de ce monde ne sont pas nécessairement les plus compétents
pour conduire des affaires publiques de grande envergure, pas davantage hier
qu’aujourd’hui. Quant a nous, dont les ancêtres étaient isolés et sans défense
dans le Saint-Laurent, c’était une autre affaire, en fait, NOTRE affaire et non
les affaires de la Monarchie française, somptueusement installée à Paris, avec
ses bureaucrates peu compétents. Ne nous trompons pas cependant à leur sujet.
Même s’ils ont perdu la bataille des plaines d’Abraham par leur faute, ils se
sont rattrapés ensuite, pour appuyer les Yankees dans la guerre d’indépendance
des Etats-Unis. Sans l’appui de la France de ce temps-là, les Yankees auraient
perdu leur guerre et Washington et ses patriotes auraient fini pendus d’une
manière encore plus dégradante et plus ignominieuse que ne l’a été Louis Riel.
Mais c’est là une autre dimension d’un problème qui nous concerne tous.
Québécois, Canadiens français, Acadiens, Français, Canadians et Américains.
Puisque les Anglais et les
Loyalistes se réclament de la bataille des plaines d’Abraham pour nous diminuer
et nous soumettre, nous pourrions au moins nous réclamer de notre victoire à
Sainte-Foy le 18 avril 1760, huit mois après celle des plaines d’Abraham, pour
refuser de plier et nous mettre à plat ventre devant ceux que le général
Jacques Dextraze appelait « nos maîtres ». Cette épithète, je l’ai entendue aux
débuts d’avril 1968, à Valcartier, lors d’une cérémonie de passation de
commandement au Troisième Bataillon Royal 22e Régiment, dont je faisais partie
en tant que capitaine d’infanterie et parachutiste. Le général s’inquiétait du
nombre de soldats, sous-officiers et officiers devenus souverainistes dans le
régiment, sans doute avec raison, comme on a pu le vérifier plus tard, à
l’élection qui porta le Parti Québécois au pouvoir le 15 novembre 1976 et au
référendum du 20 mai 1980. En fait, ce que nous disait ce général Québécois,
c’était de ne pas manifester d’impatience alors que nous n’étions pas encore en
position de force même au Québec. C’était un bon conseil et nous l’avons
retenu. À nous de célébrer les batailles de Hastings, de Sainte-Foy et de
Châteauguay pendant que les Loyalistes continuent de célébrer celle des plaines
d’Abraham.
En effet, fin octobre 1813, nous
avons encore fait la preuve de nos aptitudes militaires avec la bataille de
Châteauguay. Cette victoire, comme les autres, nous ne l’avons jamais exploitée
à des fins politiques, ne serait-ce que pour nous reconnaître et nous faire
reconnaître en tant que peuple, nation et État. Cependant, une victoire
militaire même de grande envergure, ne constitue qu’un seul facteur dans le
développement d’un statut collectif orienté vers une reconnaissance de fait
comme de droit (de facto et de jure) d’un État donné, peu importent ses
dimensions. D’autres facteurs entrent en ligne de compte et il est temps pour
tous les Québécois d’en prendre conscience.
AU-DELÀ DE LA TACTIQUE ET LA
STRATÉGIE MILITAIRES ; LA GÉOPOLITIQUE
En effet, comment se fait-il que
nous, Québécois, majoritairement descendants des colons sacrifiés par la
Monarchie française au terme de la guerre de Sept Ans, avons non seulement
survécu mais ce qui est encore plus important, progressé jusqu’à devenir un
peuple, une nation et un État nouveaux dans l’échiquier du monde actuel? Nous
ne sommes pas une tribu, ni un clan, mais un peuple que nos adversaires
s’acharnent à ne pas reconnaître. Après cinq siècles de défrichements,
développements et mises en valeur de notre territoire, nous avons fait du
Québec notre foyer national. Avec le capital constitué par des siècles de
travail, nous avons acheté presque tous les domaines pris en possession par les
Loyalistes écossais, irlandais, gallois et anglais qui vivaient sur notre
territoire et qui sont partis vers l’Ontario méridional afin de constituer l’Establishment
qui exerce un contrôle cryptique et massif sur l’économie canadienne actuelle.
Nous sommes déjà très loin de la
bataille des plaines d’Abraham et les enjeux ne sont plus les mêmes. Notre
progression s’est accomplie envers et contre l’hostilité anglaise et loyaliste
et les menaces qui ont continuellement pesé sur notre existence et notre
devenir. Quant aux progressions des Loyalistes, les maîtres du Canada depuis la
fin de la guerre de l’indépendance américaine, elles se sont accomplies avec un
minimum de guerres contre les Américains et contre nous, grâce en majeure
partie à l’immensité de l’espace continental canadien et à ses
caractéristiques, déjà expliquées en détails dans Géopolitique et avenir du
Québec (Guérin1994) et que nous reprendrons pour les besoins de la cause. Dans
ce vaste contexte, la bataille des plaines d’Abraham n’a constitué qu’un seul
événement parmi beaucoup d’autres de plus grande importance, que la propagande
officielle cherche à masquer.
STRATÉGIE GÉNÉRALE
En partant, qu’on se rappelle
quelques axiomes géopolitiques dont l’importance est capitale pour comprendre
notre histoire et expliquer nos statuts actuels. Le premier de ces axiomes
s’énonce comme suit : la politique est affaire d’intérêts, de rapports de
forces et d’effectivité, non d’idéologies, de sentiments et de ressentiments
dont on abreuve les peuples pour les faire marcher. Or, il n’est jamais facile
d’identifier dans les faits les jeux d’intérêts et de rapports de forces, pour
la simple raison que les concernés gardent leurs petits secrets pour eux et ne
les révèlent qu’en partie à leurs collaborateurs. Par contre, qui a étudié la
géopolitique à fond peut percevoir ces jeux d’intérêts sans envoyer aucun
espion nulle part.
Tout se sait, tout est connu, il
n’y a rien de nouveau sous le soleil, mais personne, ou presque, ne le réalise.
Le grand échiquier des rapports de forces et des jeux d’intérêts dans le monde
est complètement dans la géographie, que peu de Québécois connaissent parce
qu’ils n’en voient pas l’utilité. C’est pourquoi la géopolitique, qui étudie
systématiquement les États du monde de même que la croissance et la décadence
des pouvoirs qui habitent la terre, relève de la géographie et non de la
politicologie, sociologie ou économie politique. La géographie est une science
de contextes et non d’idées, d’idéaux ou idéologies. Entre autres, elle a pour
fonction de remettre les guerres et les batailles dans leurs contextes
respectifs, afin d’en tirer quelques conclusions pratiques pour les temps
actuels.
LE TEMPS ET LE LIEU D’UNE GUERRE
Aucune guerre ne surgit
spontanément. L’hostilité naît d’abord dans l’esprit et s’envenime par des
mots, des jugements et des décisions arbitraires, qui aggravent les conflits
autour desquels s’opposent des intérêts convergents. Comme la politique, la
guerre est affaire d’intérêts, de rapports de forces et d’effectivité. Mais le
jeu des intérêts varie considérablement d’un lieu à l’autre et d’un temps à un
autre, de même que les rapports de forces et la mise en pratique des principes
qui gouvernent l’effectivité des États en cause. Il en résulte presque une
infinité de contextes et de situations qui rendent chaque guerre et chaque
bataille unique et identique à aucune autre. D’où nécessité de faire preuve de
discernement et d’apprécier correctement et rigoureusement chaque situation qui
se présente, à l’intérieur de son contexte. Il n’existe aucun modèle théorique
à cet effet. Seul compte le réalisme des concernés. C’est le premier principe
de guerre, applicable en stratégie et en tactique. Ces principes n’ont rien de
folklorique. La question qui se pose pour nous est celle-ci? Comment se fait-il
que ces concepts et principes n’ont jamais été enseignés au Québec?
Le temps d’une guerre doit donc
se calculer à partir des hostilités initiales jusqu’au moment de l’éclatement,
puis, du moment de l’éclatement jusqu’à sa résolution et de ce stade vers
l’identification des nouveaux contextes qui se présentent et des hostilités qui
en surgissent, jusqu’au prochain éclatement. Pour les besoins de la cause, une
période de temps d’au moins 60 années s’écoule entre les débuts des hostilités
et la phase d’éclatement d’une guerre, lorsque les armes et les armées font
leur apparition et que progresse la violence extrême que personne ne peut plus
arrêter. Par exemple, la guerre qui s’est traduite par la destruction des tours
du World Trade Center à New York le 11 septembre 2001, remonte très loin en
arrière, lorsque les navires à vapeur utilisèrent massivement le mazout au lieu
du charbon, créant par le fait même d’impérieux besoins en pétrole, qui
excitèrent les convoitises, soit entre 1873 et 1875, pour donner une date plus
précise.
De plus, avec l’invention des
moteurs à essence, des moteurs diesel, le développement des chemins de fer et
de l’aviation, l’introduction du chauffage à l’huile en Amérique du nord, la
guerre du pétrole ne pouvait que s’envenimer. Elle pourrait s’arrêter d’un coup
avec l’invention d’une pile électrique révolutionnaire qui remplacerait toutes
les sources actuelles d’énergie, une pile ne pesant pas plus que vingt kilos et
qui pourrait par exemple faire parcourir 100,000 kilomètres à une automobile,
sans rechargement, sauf qu’une telle invention causerait autant de problèmes que
ceux qu’elle pourrait résoudre. Car la solution technique à un problème crée de
nouvelles nécessités inconnues auparavant. Or, toutes les guerres sont liées
aux nécessités de l’existence, réelles et virtuelles. Et la nécessité n’a pas
de loi. Elle est ontologique; elle n’est ni logique ni éthique.
Quant à la bataille des plaines
d’Abraham, qui a eu lieu le 13 septembre 1759, elle s’inscrit dans la Guerre de
Sept Ans, qui fait suite à de longues guerres européennes et coloniales, qui
ont débuté avec la capture de Constantinople par les Mamelouks en 1453, la
fermeture des voies commerciales vers l’Asie, l’invention de la caravelle par
les Portugais et les débuts des grandes aventures maritimes qui se prolongèrent
jusqu’au Vingtième siècle. Tout le passé de l’humanité est présent dans l’acte
que nous vivons maintenant et c’est une erreur grave de l’ignorer. Ce qui s’est
passé le 13 septembre 1759 fait suite à d’autres événements précédents, dont on
peut retracer les origines très loin en arrière. C’était hier et hier est
présent aujourd’hui.
Cependant, il faut savoir mettre
toutes choses en perspective, prendre une distance par rapport aux événements
et en tirer les leçons qui s’imposent. Les millénaires précédents ne font
qu’une seule vie avec la nôtre. Cela ne veut nullement dire que le monde est
devenu homogène et indifférencié. C’est tout le contraire qui s’est produit,
même avec les progrès des communications. Il existe présentement 192 États
reconnus dans le monde actuel, dont chacun est unique et identique à lui-même
et à lui-même seul. L’unité du monde est dans l’esprit, non dans la matière, ni
la culture qui signifie la qualité de la vie matérielle. Elle est inorganique
et appartient à l’univers de la relation.
Le pouvoir est complètement dans
ses communications. Qu’il soit économique, politique, diplomatique ou
militaire, ce principe reste le même.
La volonté, individuelle et
collective, se dégrade pour devenir ce que Mirabeau appelait la nolonté, un
mouvement de retour vers le néant. Malheur aux peuples qui ont quelque chose à
perdre et demeurent sans défense, tant psychologique que militaire. Ils seront
dépouillés et se soumettront servilement à une implacable volonté étrangère.
Six mille ans d’histoire en fourmillent d’exemples.
La bataille des plaines d’Abraham
est une composante majeure dans la mentalité défaitiste des Québécois.
Pourtant, lorsqu’on l’examine dans son contexte, qui est celui de l’époque, en
tenant compte des conditions géographiques et techniques du temps, on en arrive
à de surprenantes conclusions au sujet de la Guerre de Sept Ans. En Amérique du
nord, cette guerre opposait d’abord la France contre l’Angleterre, mais elle
intéressait au plus haut point les Yankees de la Nouvelle Angleterre, qui
n’attendaient qu’une occasion favorable pour chasser les Anglais hors du
continent. Ce que beaucoup de Québécois ne comprennent pas, c’est que Yankees
et Anglais étaient tous anglo-protestants, alors comment pouvaient-ils être en
guerre? Comment alors expliquer le fait que les Anglais nous ont fait des
concessions qui ont été refusées aux Yankees, au moment de l’Acte de Québec, en
1774, deux années avant le commencement de la guerre d’indépendance américaine?
Il n’y a pas de concessions en
politique, seulement des jeux d’intérêts et de rapports de forces, combinés
avec les nécessités liées à l’action et la mise en pratique de principes qui
ont fait leurs preuves, car la politique est complètement dans le réel, non
dans le virtuel ou l’abstrait. Se pourrait-il également que la guerre ait peu à
voir avec la langue ou la religion? Pour l’amour du Québec et pour la gouverne
de notre État, dont les assises sont en place, nous devons répondre
adéquatement à ces questions et plusieurs autres du même genre.
Comme la politique, la guerre est
affaire d’intérêts, de rapports de forces et d’effectivité. Elle a pour objet
la poursuite des objectifs d’un État, d’une Puissance ou des groupes d’intérêts
qui exploitent l’État à leurs fins, en dehors de ses frontières naturelles, par
le moyen de la diplomatie et la violence armée. Dans un cas comme dans l’autre,
il s’agit de briser la volonté adverse avec une économie maximale d’efforts et
de moyens. Autrement, la guerre n’est pas rentable, ni à court ou à long terme,
car toute guerre offensive est un investissement qui a le profit pour objet.
Inversement, la défensive doit briser l’offensive en même temps que la volonté
de conquête de l’adversaire. Pour avoir quelques possibilités de réussir, à
court et à long terme, il faut posséder à fond le principe de réalité, principe
qui s’articule en douze dimensions fondamentales que tout expert en stratégie
ou en tactique se doit de connaître : appréciation rigoureuse et correcte du
contexte et de la situation; détermination et maintien d’objectifs praticables
et réalisables en termes de temps et d’espace; maintien du moral; concentration
de l’effort dans le temps et dans l’espace; économie de l’effort; simplicité;
souplesse; sécurité; surprise; coopération; coordination; administration et
logistique. Simples à énoncer mais qui n’a pas l’intelligence du réel est
incapable de les mettre en pratique, peu importent l’érudition, la classe
économique et sociale, la langue et la religion. C’est dans cette optique que
nous allons interpréter la bataille des plaines d’Abraham, afin d’en tirer
d’utiles leçons pour les temps que nous vivons actuellement. Nous devons cesser
de nous faire des peurs à ce propos.
En effet, la bataille des plaines
d’Abraham, qui a eu lieu le 13 septembre 1759, hante encore l’inconscient
collectif des Québécois, qui l’interprètent comme la preuve que nous sommes un
peuple vaincu, des perdants en partant, destinés à vivre en état de soumission
servile à l’égard d’un conquérant qui possèderait tous les droits sur nous.
Cette peur paralysante est enfouie dans les profondeurs de notre esprit et
influence notre comportement en face d’Ottawa, du reste du Canada et des
minorités linguistiques qui vivent parmi nous. Les United Empire Loyalists, ces
déracinés qui se prennent pour les héritiers présomptifs de tout le territoire
du Canada, Québec compris, et qui nous gouvernent présentement à partir
d’Ottawa et de Toronto, manquent rarement une occasion de nous rappeler que,
étant des « losers », nous avons un devoir d’obéissance servile envers eux,
autrement, nous risquons une nouvelle raclée comme celle que NOUS avons reçue
sur les plaines d’Abraham.
Officier dans les Forces Armées
Canadiennes pendant 28 ans, j’ai eu plus d’une occasion de me rendre compte que
la menace risquait de prendre forme au moindre signe d’insoumission de notre
part, surtout depuis 1960. Les préparatifs d’interventions armées contre le
Québec ont augmenté en intensité après les débuts des activités du Front de
Libération du Québec. Il est important de souligner que l’année 1960, qui marque
les débuts de la Révolution tranquille, sont, en fait le commencement de
l’histoire de l’État du Québec proprement dit. Un état naît avec la croissance
des classes moyennes nationales.
De telles classes moyennes sont
une menace pour l’hégémonie d’une oligarchie impériale. En fait, c’est cette
nouvelle clase moyenne en train de créer l’État du Québec que les autorités
(Canadians) s’étaient données pour mission d’abattre. Ces préparatifs
augmentèrent en intensité pendant la décade 1964 -1974. Une ne guerre se
préparait à l’insu de tous et il fallait la tuer dans l’œuf. Nous n’avions
aucun moyen de nous défendre, mais, il existait une possibilité : faire publier
les instructions secrètes du quartier général de la Force mobile et c’est se
que nous avons fait, pendants les années 1971-1972.
Remarquez que nous ne sommes pas
les seuls à se faire remettre une bataille sur le nez par les United Empire
Loyalists. En Écosse, les Loyalistes ne manquent jamais de rappeler aux
Écossais la bataille qu’ils ont perdue à Culloden le 16 avril 1746, bataille
suivie d’horribles atrocités contre la population sans défense des Highlands,
avec massacres, destructions de propriétés, femmes, enfants, malades et blessés
jetés nus dehors sans nourriture ni abris, exposés à mourir de faim et de
froid. Qui sont les Loyalistes? Des Anglais vivant en Écosse mais surtout des
Écossais intéressés par l’argent et le profit et qui offrent leurs services à
la Couronne britannique.
Ces Loyalistes sont prêts à tout.
Au Canada, ce sont eux, les Loyalistes venus d’Écosse et aussi d’Irlande du
Nord, qui ont pris les rênes du pouvoir et de l’argent. Parcourez les listes
des noms de famille de l’Establishment Canadian, depuis l’époque du Family
Compact qui provoqua la révolte du Haut Canada en 1837-38, comme d’ailleurs
celle du Bas Canada et vous constaterez qu’ils sont tous Écossais. En Amérique
Britannique du Nord, ils ont constitué une oligarchie dominante qui se perpétue
d’une génération à l’autre. En chemin, ils ont acheté des complicités, dont les
Mohawks, les Juifs riches du B’nai Brit, de même que les Canadiens français et
les Québécois prêts à les servir jusqu’à trahir leur propre peuple et que
Stéphane Kelly a appelés « La petite loterie » dans sa thèse de doctorat.
En Irlande du nord, les mêmes
Loyalistes (ils se tiennent comme les doigts d’une main) ne manquent jamais de
rappeler aux Irlandais celtiques qu’ils ont perdu la bataille de la Boyne le 12
juillet 1690 et qu’ils feraient mieux de se soumettre s’ils veulent éviter un
autre massacre. Le traitement infligé aux Irlandais est indescriptible. Il a
débuté sous Oliver Cromwell.
En Amérique du nord, sans l’aide
substantielle de la France de Louis XV, qui avait sacrifié le Québec et la
Nouvelle France pour mieux leurrer les Anglais, les Yankees auraient été
écrasés par l’armée britannique. Comme en Irlande et en Écosse, l’armée
britannique, avec l’aide de l’information fournie par les Loyalistes
américains, se serait livrée à d’indescriptibles massacres, sans jamais risquer
d’être accusée de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité. S’étant
faite la main en Irlande et en Écosse, l’armée anglaise a transféré ses
manières en Acadie et de là en Gaspésie, avant de s’acheminer vers Québec, que
la France de Louis XV et de monsieur de Choiseul avait déjà décidé de sacrifier,
sans perdre la face si possible.
En 1759, la présence d’une flotte
et d’une armée anglaise devant Québec n’avait rien de rassurant, d’autant plus
que ses habitants savaient quel sort avait été réservé aux Acadiens et aux
Gaspésiens. Reste à savoir si les habitants de Québec étaient informés des
atrocités britanniques en Irlande et en Écosse? Les Yankees de la Nouvelle
Angleterre devaient connaître les atrocités commises par les forces armées
britanniques contre les populations vaincues. Dans l’armée britannique, le
refus de tuer les blessés, les femmes, les enfants, les malades sans défense et
les vieillards, de brûler et détruire leurs biens, est passible de renvoi
(cashiered) (cf. Jonathan Swift et al). Jusqu’à récemment, tout était permis au
soldat anglais, pour qui l’humanisme est une faiblesse inacceptable.
Si les Yankees avaient perdu la
guerre de l’indépendance américaine, George Washington, Benjamin Franklin et
tous les révolutionnaires américains auraient été pendus sur la place publique,
leurs biens confisqués, leurs familles massacrées ou jetées dans la misère. Les
Anglais auraient ensuite massacré presque la moitié de la population de la
Nouvelle Angleterre, « for King, Law and Empire Unity ». De tels actes, commis,
« in the line of duty », ne dérangent pas la conscience anglaise et encore
moins l’inconscience loyaliste.
Dans la même veine, nous avons
intérêt à examiner brièvement le cas de l’Afrique du Sud, sa colonisation par
des Hollandais, des Huguenots et des fermiers Allemands, qui débuta dix ans
après la fondation de Montréal. A cause de sa position géographique
stratégique, son développement et la présence sur place de l’or et des
diamants, l’Angleterre a trouvé tous les prétextes pour s’en emparer et imposer
aux Boers de souche des conditions abominables, qui ont provoqué une série de
troubles et deux guerres. En Afrique du Sud, les bassesses, ignominies,
humiliations et atrocités anglaises ne se comptent plus, tout cela pour l’or et
les diamants. Dans l’univers austral, jusqu’en Australie et en Nouvelle
Zélande, on en prend maintenant conscience, grâce à l’Internet que personne ne
peut bloquer.
ET LE QUÉBEC? LA SOCIÉTÉ
FOLKLORIQUE DEVENUE UN ÉTAT?
La question qui se pose est
celle-ci : comment se fait-il que nos ancêtres, les colons et Habitants de
Nouvelle France, n’ont pas été aussi maltraités que les autres? Nous étions
destinés, il me semble, à ne devenir qu’une société folklorique en voie de
fossilisation et voilà que nous possédons maintenant notre propre État, lequel
existe bel et bien de fait (de facto), prêt à se faire reconnaître. Comment se
fait-il que nos prédécesseurs, dont on cherche à effacer la mémoire, n’ont pas
été déportés comme les Acadiens, avec destructions des foyers et sources de
nourriture? Le génocide fait partie de la politique de conquête anglaise, même
s’il ne réussit pas toujours, mais au Québec, il ne semble pas y avoir de
traces de tentatives de génocide, bien que des plans à cet effet aient été
préparés par les Anglais.
Il n’y a pas eu au Québec de massacres
comme en Écosse après la bataille de Culloden. Le film de Pierre Falardeau, sur
la pendaison de De Lorimier le 15 février 1839, montre des images terribles,
mais bien moins pires que ce qui est arrivé en Irlande, en Écosse, en Acadie,
en Gaspésie et en Afrique du Sud. Alors pourquoi les Anglais se sont-ils
imposés des limites envers NOUS, Québécois, alors qu’ils ont impitoyablement
massacré d’autres populations qui ne le méritaient certes pas? Il est évident
maintenant que les Anglais et les Loyalistes se sont contentés de chercher à
nous effrayer, tout en nous ménageant pour autre chose. Dans l’Amérique
Britannique du nord, cet espace continental qu’on appelle Canada, il convient
de souligner que les United Empire Loyalists constituent une présence majeure
qui a peu à peu remplacé les Anglais, lesquels n’étaient pas plus intéressés au
Canada que ne l’avait été la France. Les Loyalistes, surtout ceux d’Écosse et
d’Irlande, avaient déjà décidé que le Canada serait leur fief.
QUI SONT LES LOYALISTES?
Entendons-nous sur la définition
de Loyalistes. Il s’agit de toute personne qui, sous prétexte de loyauté envers
la Couronne anglaise, cherche à faire fortune et à atteindre une position de
puissance, peu importent les victimes et les injustices commises. Les
Loyalistes comprennent peu d’Anglais, mais davantage d’Écossais, d’Irlandais,
de Yankees, de Sud Africains. Les Mohawks sont des Loyalistes depuis longtemps
et ce sont eux qui participaient à l’exécution des sales besognes pour les
Anglais, contre les Yankees, Écossais, Irlandais, Sud Africains et Acadiens
patriotes et bien entendu contre NOUS, Québécois de souche et patriotes.
Loyalistes également, les loges
maçonniques d’obédience écossaise, irlandaise, américaines anglophiles,
anglo-canadiennes, dont l’infâme Loyal Orange Lodge, notre ennemie de toujours,
auxquelles il faut ajouter les loges québécoises. La maçonnerie a pour objet,
il semble, de fournir à ses membres des outils de perfectionnement, mais en
fait, elle n’est qu’un ensemble de fraternités cénobitiques d’aide mutuelle,
sans originalité. Loyalistes, la plupart des Conseils de Chevaliers de Colomb,
une autre organisation pour cénobites en mal d’appuis. Loyaliste donc, le Parti
Libéral du Québec et du Canada, comprenant toutes ou presque toutes leurs têtes
d’affiche.
Parce qu’il est un système
d’exploitation, le loyalisme est une parodie de la loyauté. La vraie loyauté
consiste d’abord et avant tout à vivre selon des principes rigoureux, même et
surtout lorsqu’on n’y trouve aucun bénéfice personnel, au risque de perdre,
donc, à être honnête envers soi-même et envers les autres, même et surtout
lorsqu’on n’y trouve aucun profit à le faire. La véritable loyauté est
complètement dans le désintéressement, non dans l’intérêt mesquin et borné. Les
Loyalistes exploitent la Monarchie anglaise autant qu’ils exploitent leur
propre peuple et même leurs familles, toujours pour l’argent, le prestige et le
pouvoir. Leur dieu, c’est leur ventre. Leur intelligence se borne à
rationaliser leurs actes. Leurs consciences ne dépassent pas le niveau de leur
compte de banque. Ils n’ont pas d’âme.
Dès les débuts du régime anglais
au Québec, les trahisons n’ont pas manqué. Pendant la crise d’Octobre 70, la
délation a dégoûté les soldats du Royal 22e Régiment. Il est clair maintenant
qu’avec nous, les Anglais ont usé davantage de diplomatie que de brutalité.
Mais pourquoi? Ce comportement est inhabituel chez eux. Dans cette perspective,
comment interpréter la bataille des plaines d’Abraham, que les Loyalistes nous remettent
continuellement sur le nez?
La réponse à cette question
n’appartient pas aux historiens mais à la géographie et sa branche
géopolitique, qui comprend la stratégie diplomatique et militaire. Il est
important de savoir en partant que la méthode géopolitique et stratégique n’est
pas fondée sur le pragmatisme expérimental mais sur l’USAGE (le Multitudinis
usus des Latins), méthode de recherche et de travail qui s’appuie sur des
axiomes universels et emprunte à la fin le moyen de l’atteindre. Cette méthode,
que nous utiliserons maintenant pour interpréter la bataille des plaines
d’Abraham, notre survivance collective et nos progressions paradoxales vers le
statut d’État, a déjà fait ses preuves et les fera encore.
Non à cause de sa réalité
historique, puisqu’elle a réellement eu lieu. Ce qui fait problème, ce sont les
perceptions hors contexte de cet événement et les jugements réductifs qui en
résultent au sujet de notre statut collectif. En isolant l’événement de son
contexte, on lui accorde des dimensions démesurées par rapport à son sens, sa
signification, sa dynamique et sa portée réelle, tant à court qu’à long terme.
En conséquence, l’événement prend des dimensions proportions qui estompent le
principe de réalité qui doit prévaloir dans toute question de statut,
individuel et collectif. Nous hantent l’esprit, collent dur dans l’inconscient
et que nos adversaires loyalistes exploitent à souhait. Comme l’enfant qui se
souvient jusqu’à l’âge adulte de la dernière fessée qu’il a attrapée, nous
avons encore peur, alors que les rapports de forces et le jeu des intérêts en
1759, n’étaient peut-être pas ce que nous en pensons. La politique est affaire
d’intérêts, de rapports de forces et d’effectivité. Elle est froide et dure. La
guerre aussi est affaire d’intérêts, de rapports de forces et d’effectivité,
non de sentimentalités ou de ressentiments. Elle est encore plus froide et plus
dure. Or, jamais nous n’avons examiné la bataille des plaines d’Abraham à
partir de ces concepts fondamentaux. Il est temps de le faire et d’en juger
froidement, comme un peuple arrivé à maturité.
IMPORTANCE D’APPRÉCIER LE
CONTEXTE
La politique est affaire
d’intérêts, de rapports de forces et d’effectivité. Cet axiome, il faut se le
mettre dans la tête à tout prix. Deuxième axiome corollaire au premier : la
diplomatie et la guerre aussi sont affaire d’intérêts, de rapports de forces et
d’effectivité. Lorsqu’on a bien compris ces notions fondamentales, le reste est
aisé à comprendre. Ajoutez à ces premières dimensions cet axiome d’Aristote :
la politique est complètement dans l’action. Il est évident que pour agir, il
faut posséder des aptitudes et des moyens qui constituent un pouvoir d’agir,
car l’objet du pouvoir est l’action. A ces dimensions fondamentales, ajoutez-en
une autre, de Machiavel cette fois : le pouvoir est complètement dans ses
communications, TOUTES SES COMMUNICATIONS : GÉOGRAPHIQUES d’abord, d’où
l’importance des régions naturellement OÉKOUMÈNES, aux communications maritimes
et terrestres faciles grâce aux espaces bas, plats, arables, à proximité des
grandes voies d’eau, préférablement des mers; viennent ensuite les MOYENS
TECHNIQUES, anciens et modernes, sauf que la technique ne garantit pas le
succès d’une communication. On peut avoir le meilleur équipement au monde et ne
pas communiquer avec personne, parce qu’on a oublié une dimension
additionnelle, centrale à toute communication : L’UNIVERS DE LA RELATION. Qui
communique avec qui? Dans quel but? Quelle en est la compétence et quels seront
les résultats de cette relation, en termes d’envergure?
Nous semblons nous éloigner de
notre sujet, qui a pour but une interprétation différente et rigoureuse de la
bataille des plaines d’Abraham. Par contre, nous avons besoin de tout l’équipement
intellectuel proposé ici pour y arriver, autrement, notre interprétation
demeurera superficielle, sans conséquence, déprimante. Continuons avec le
problème des communications. Nous avons besoin de réponses solides, afin
d’étayer notre appréciation des faits.
Cet univers commence par la
maîtrise quasi absolue d’une langue formelle, parlée et surtout écrite. Les
dialectes ne vont nulle part et les langues informelles, constituées de mots
juxtaposés et largement utilisées dans le commerce, ne durent que le temps
d’une puissance commerciale. Par exemple, le phénicien a duré le temps du gros
commerce de l’antiquité centré sur la Méditerranée. Il a fini par reculer
devant le latin, langue aristocratique, formelle, philosophique, juridique et
politique.
Quant à l’anglais, s’il domine
encore un important segment du commerce international, son déclin s’annonce par
le fait que la jeunesse actuelle des pays anglo-saxons parle très mal sa langue
maternelle et ce qui est plus grave, elle est incapable de l’écrire, sauf
exceptions qui confirment la règle. Communique avec qui? Dans quel but? Quels
en seront les résultats à court et à long terme? Lorsqu’on a compris toutes ces
dimensions, il faut encore y ajouter cet axiome du vieux Sun Tsu dans son
traité millénaire sur l’art de la guerre (qui comprend la diplomatie et
l’économie de guerre) : la connaissance des grands principes permet de trouver
en toutes circonstances les solutions qui conviennent. Alors, on commencera à
avoir l’équipement intellectuel et mental nécessaire pour comprendre la
politique, la diplomatie et la guerre et agir adéquatement en conséquence, en
commençant par une interprétation valide de la bataille des plaines d’Abraham.
Il faut en premier lieu bien
comprendre que les antagonistes dans cette guerre de Sept Ans, beaucoup plus
longue dans les faits, comprenaient les Treize Colonies (futurs USA), la
France, l’Angleterre, l’ Espagne, l’Allemagne du Nord, l’Autriche, l’Irlande et
l’Écosse. Nos ancêtres, les colons de la vallée du Saint-Laurent, les Habitants
comme on les appelle familièrement, n’y étaient pour rien. RIEN. La politique
est affaire d’intérêts, de rapports de forces et d’effectivité. La diplomatie
et la guerre aussi sont affaires d’intérêts, de rapports de forces et
d’effectivité. Nos ancêtres n’intéressaient personne; n’en soyez pas choqués :
ils ne pesaient d’aucun poids dans les rapports de forces, même s’ils ont pesé
davantage par la suite et quant aux principes de l’effectivité qui doivent
gouverner la trame des États, le Québec avait une valeur stratégique de premier
plan, pour les Anglais et pas pour les raisons que vous pensez. Rappelez-vous
les concepts de base : la politique, la guerre et la diplomatie sont affaires
d’intérêts, de rapports de forces et d’effectivité. Qu’on se le mette dans la
tête et s’il le faut, qu’on l’écrive sur les murs, dans les couloirs, sur les
ordinateurs, sur les chandails, les T shirts et les chemises et même sur le
papier à cul.
Ces concepts et notions avancées
ne sont pas pour les enfants, surtout les peuples enfants, les peuples inféodés
et incapables d’en sortir, dont le comportement ne dépasse pas l’âge mental de
cinq ans. Pour sortir du marasme politique actuel, il faut absolument que tous
les Québécois comprennent ces notions fondamentales qui leur ont été refusées.
Il faut aussi qu’ils comprennent à fond les principes universels qui gouvernent
l’action des États, principes que nous rappellerons plus loin pour les besoins
de la cause. À défaut de bien comprendre ces concepts et principes fondamentaux,
nous continuerons de piétiner, de nous énerver et nous n’irons nulle part. Nous
voulons notre État? Alors qu’on en apprennent les notions fondamentales et le
reste ira bien.
Au terme de toutes ces guerres
qui ont duré et perduré jusqu’à la fin de la guerre de 1812 et le traité de
Vienne de 1815, les grands gagnants ont été l’Autriche, la France, la Russie et
la Suède. En Amérique du nord, la France a atteint ses objectifs stratégiques
majeurs, quelles que soient les apparences. Pour l’Angleterre, le Canada
n’était nullement un bénéfice de vainqueurs. D’ailleurs, la stratégie anglaise,
perdante sur le continent européen, s’était déjà tournée vers les Indes, les
rives africaines de l’océan Indien, l’Australie, la Nouvelle Zélande et
l’Afrique du Sud, autrement plus importants que le Canada. N’en soyez surtout
pas choqués et ne réagissez pas comme des enfants!
En Amérique du Nord, les autres
gagnants ont été les Américains et nous-mêmes, oui, nous-mêmes, Québécois,
descendants des colons du Saint-Laurent, ceci envers et contre l’hostilité
anglaise et loyaliste. Ne jugez plus par les apparences. C’est ce que nous
allons expliquer suivant l’optique particulière de la géopolitique et de la
stratégie militaire et diplomatique.
S’il est relativement facile de
comprendre le fait que la politique et la guerre sont d’abord et avant tout
affaires d’intérêts et de rapports de forces, il est cependant beaucoup plus
difficile de saisir à quoi on veut en venir, en ajoutant que politique et
guerre sont aussi affaires d’effectivité, ce qui veut dire : réussir, à court
terme (tactique) et à long terme (stratégie), avec une économie maximale de
forces et de dépenses de moyens, SANS DOMMAGES, ce qui arrive très rarement,
compte tenu de l’incompétence et l’absence d’intégrité d’une majorité de
concernés, depuis les temps reculés jusqu’à nos jours, et, finalement, sans
conséquences fâcheuses pour l’avenir.
Les principes qui gouvernent
l’effectivité dans l’action ont pour objet d’améliorer l’existence et la vie,
non de les détruire. Car l’action a pour objet la contemplation d’une finalité
: l’Acte. Pour réussir, donc, il faut d’abord voir très loin et très proche en
même temps, simultanément, d’un coup d’œil sûr, ce qui n’est pas donné à tout
le monde, évidemment. En géopolitique, on appelle cette méthode l’analyse
spectrale de la réalité. Elle est ontologique : elle n’est pas logique mais
elle intègre la logique et l’assume en lui donnant la place qui lui revient.
Elle n’est pas scientifique non plus, mais elle intègre les méthodes des
sciences en leur donnant la place qui leur revient. L’ontologie, qui a pour
objet l’existence comme telle, dépasse la logique et la science et en
conséquence, elle ne peut leur être subordonnée.
En effet, ce dont il est question
pour nous, Québécois, c’est de notre existence comme telle. Comme nous ne
sommes pas encore arrivés, le statut, qui est l’état de ce qui a été investi,
demeure au centre de nos préoccupations politiques. Ce statut, ce n’est pas une
bataille qui peut en décider. Les victoires et les défaites militaires ne
valent que par les continuités quelles
poursuivent. Or, ces continuités, précisément, constituent les éléments d’un
contexte.
D’où nécessité d’examiner
soigneusement les événements historiques. Cet exercice intellectuel et mental
est impossible chez ceux et celles dont l’esprit prolixe demeure piégé dans
l’opinion. Le savoir et le discernement dépassent de beaucoup l’opinion, mais
comme ils sont excessivement exigeants, alors la paresse intellectuelle devient
une tentation à laquelle il est difficile de ne pas succomber. Si nous voulons
construire notre liberté, nous devons nous défaire des mythes, clichés,
métaphores et autres procédés réductionnistes qui rendent l’esprit inapte à
réfléchir en fonction de l’agir conscient et de l’acte à accomplir et partant,
agir en conséquence. La propagande adverse, qui a exploité la bataille des
Plaines d’Abraham pour nous discréditer à nos propres yeux et réduire notre
jugement critique jusqu’à l’impuissance, est devenue la plus grande réussite
des United Empire Loyalists, nos ennemis héréditaires qui héritent maintenant
de la possession du Canada et du Québec. Leur hostilité à notre égard, masquée
derrière le prétexte de l’unité canadienne, remonte à plus d’un millénaire en
arrière. Nos ancêtres les connaissaient depuis longtemps, eux qui ont eu
affaire à l’Angleterre, à partir des côtes de la Normandie, la Bretagne, le
Poitou, la Picardie, l’Anjou et l’Aquitaine. Nous ne sommes pas les seuls à
avoir subi leurs attaques, puisque les Irlandais, Écossais, Gallois, Acadiens,
Yankees, Sud-africains, Australiens et Néo-Zélandais les ont bien connus eux
aussi.
Installés au Canada depuis la
guerre de l’indépendance américaine, qu’ils ont perdue contre les Yankees aidés
par la France, les Loyalistes nous ont pris à partie dès leur arrivée en
Nouvelle Écosse, dans le Saint-Laurent et dans l’Ontario méridional. Ce sont
eux qui ont repris la bataille des plaines d’Abraham à leur compte et qui nous
la remettent continuellement sur le nez. En guerre contre les Irlandais et les
Écossais celtiques qu’ils ont tenté d’exterminer, les Loyalistes ont débarqué
en grand nombre en Amérique Britannique du Nord pour se construire un empire
CANADIAN avec l’appui de la Couronne britannique. Leur intransigeance sans
bornes a provoqué la rébellion de 1837-38 et ils sont les instigateurs et
agents de la répression féroce qui suivit. Ce sont eux et pour eux que l’Acte
de l’Amérique Britannique du Nord, le British North America Act a été créé.
Ottawa est leur capitale politique et Toronto leur capitale économique. Nous
sommes loin de la bataille des plaines d’Abraham.
Chaque année, le 12 juillet, à
Toronto et ailleurs au Canada anglais, les Loyalistes Orangistes (ce qui
revient au même) paradent dans les rues en tenue de loge, avec flûtes et
tambours, pour marquer la défaite des Irlandais à la bataille de la Boyne le 12
juillet 1690. Il en est de cette bataille comme de celle des plaines d’Abraham.
En Irlande du Nord, les Orangistes poussent la provocation jusqu’au degré
extrême et s’étonnent de la colère des Irlandais. Les mêmes Orangistes ont
longtemps célébré la bataille de Culloden du 16 avril 1946, en Écosse, alors
que l’armée anglaise a écrasé les Écossais, victoire qui fut suivie d’horribles
massacres. Il en est de cette autre bataille comme de celle des plaines
d’Abraham. Elles sont exploitées pour créer dans l’esprit des populations
inféodées des fixations mentales, un complexe de vaincu et de peur et une
inaptitude au jugement critique qui ne partiront jamais et rendront les «
vaincus » plus dociles envers les « vainqueurs ». Mais la réalité n’est pas
aussi simple.
IMPORTANCE DU PRINCIPE DE RÉALITÉ
Nous avons perdu l’habitude
d’étayer nos jugements sur le principe de réalité. Encore, de nos jours, chez
beaucoup de Québécois même chez les diplômés, l’opinion a remplacé le savoir et
s’impose à la conscience comme une certitude vérifiée par l’étude, la réflexion
méthodique, le discernement et le jugement critique. Lorsqu’il s’agit de
définir dans le fait, dans l’acte et dans le droit, le statut collectif des
Québécois, nous avons tendance à éviter les méthodes trop rigoureuses qui
risquent de nous donner des maux de tête. La paresse intellectuelle et mentale
est préférables à l’effort, de sorte qu’une opinion rébarbative de la part d’un
adversaire déterminé, un cliché réductif, une métaphore obscure, ou un
euphémisme, suffisent pour paralyser le jugement critique, semer la peur et
provoquer le recul envers et contre les progrès accomplis. Cette paresse de
l’esprit, Mirabeau la qualifiait de NOLONTÉ. Pour Nietzsche, elle fait partie
du NIHILISME. Le NON référendaire et malheureux de beaucoup de Québécois aux
deux derniers référendum sur la souveraineté procède de ces deux vices de
l’esprit.
Notre mentalité collective et les
problèmes qu’elle nous pose a peu à voir avec la bataille des Plaines
d’Abraham. Elle a davantage à voir avec les jugements que nous construisons
autour de cet événement, jugements élaborés dans l’ignorance abyssale des
principes qui gouvernent les pouvoirs politiques et leurs guerres, jugements
HORS CONTEXTE, qui font le jeu de nos adversaires et nous exposent au ridicule
à la face du monde. L’ignorant fait toujours rire mais beaucoup de Québécois ne
s’en rendent pas compte. La victoire militaire des Anglais contre les Français
sur les plaines d’Abraham le 13 septembre 1759 est un incident parmi d’autres,
dont il convient d’apprécier la signification et le sens, à court et à long
terme. Cette bataille n’est pas la dernière que nous avons livrée aux côtés de
la France monarchique et d’autre part, une victoire ou défaite militaire ne
portent pas à conséquence de la manière dont on le pense. Le sort des sociétés
dépend des continuités qui altèrent leurs statuts, alors qu’une bataille est un
événement discontinu.
Huit mois plus tard, il y eût une
autre bataille décisive qui ne décida rien. En effet, la dernière bataille
rangée entre Anglais et Français sur le sol du Québec a eu lieu huit mois après
celle des plaines d’Abraham, soit, le 18 avril 1760, à Sainte-Foy près de
Québec. Cette fois, les Anglais on perdu mais comme trois nouvelles armées
anglaises marchaient vers le Québec en provenance des Treize colonies, Lévis et
Vaudreuil n’eurent pas le choix. Il était impossible de continuer la guerre et
il fallait éviter le massacre de la population par les Anglais, connus pour
violer les femmes, détruire les réserves de nourriture, brûler les fermes,
jeter les habitants dehors dans la neige et le froid et rire de leurs
souffrances avec une cruauté bestiale (Saint-Benoît 1837). Ces actes, les
Anglais les ont commis en Irlande, Écosse, Pays de Galles, Acadie et Gaspésie,
plus tard encore contre les Yankees de Nouvelle Angleterre et les Boers
d’Afrique du Sud. La conscience anglaise n’éprouve aucun respect pour les
vaincus, les « fucking losers » comme ils les appellent avec dédain. Mieux
valait faire acte de soumission malgré l’humiliation que tout le monde
éprouvait. De toutes manières, les armées anglaises avaient des besoins
logistiques que le Québec pouvait satisfaire.
Malgré tout, la France et
l’Angleterre ont attendu trois ans avant de prendre une décision au sujet du
statut territorial de la Nouvelle France, de sorte que le traité de Paris par
lequel Louis XV et son premier ministre Choiseul décidèrent de l’abandonner et
de conserver les Antilles, ne fut signé que le 10 février 1763, sans doute sous
les pressions combinées des généraux anglais concentrés en Amérique et pour des
raisons qui n’avaient rien à voir avec ce qu’on est porté à penser. Nous avons
la mauvaise habitude d’évaluer ces événements hors contexte et il est temps de
les envisager autrement, ne serait-ce que pour voir clair dans notre affaire.
LES MOTIFS DES GÉNÉRAUX ANGLAIS
Situons-nous en contexte. En
1760, la France n’a plus aucun intérêt à conserver la Nouvelle France et
l’Angleterre n’en avait pas davantage à vouloir en prendre possession. La
politique est affaire d’intérêts, de rapports de forces et d’effectivité, non
de sentimentalités arrosée à l’eau de rose. Il y a de moins en moins de
fourrures dans la vallée du Saint-Laurent et autour des Grands lacs. La superbe
forêts de grands pins qui longe les basses terres du Saint-Laurent jusqu’au lac
Ontario et de là vers les lacs Érié, Huron et Supérieur, est largement écrémée
de ses meilleurs arbres. La pêche, sur les bancs des côtes de Terre-neuve, ne
nécessité aucune escale maritime dans le Saint-Laurent. Quant aux minerais, ils
sont trop difficiles d’accès et trop dispendieux à exploiter.
La loi universelle de l’économie
politique est simple et s’énonce comme suit : obtenir le maximum de résultats
avec un minimum d’efforts et de dépenses de moyens, ce qui n’est pas possible
dans tous les milieux géographiques. Autrement, il n’y a pas d’économie. Point
final et fin de la discussion. Combien de Québécois comprennent ce principe
simple, simple, simple? Il ne resterait donc que deux seuls motifs pour
intéresser une puissance coloniale à prendre ou garder possession de l’espace
continental canadien en général et l’espace québécois en particulier : le
prestige ou la valeur stratégique de l’emplacement des zones les plus
oékoumènes. L’un comme l’autre ont pu intéresser l’Angleterre, qui a quand même
mis trois ans à se décider.
En 1760, les généraux anglais se
sont particulièrement attachés à la valeur stratégique des basses terres du
Saint-Laurent, centre de gravité du Québec. Comme la politique, la guerre aussi
est affaire d’intérêts, de rapports de forces et d’effectivité. Qu’on se le
mette dans la tête une fois pour toutes et qu’on cesse de dire des
insignifiances à propos de la politique et des guerres. Le temps est venu pour
nous de sortir de l’enfance intellectuelle.
IMPORTANCE DES CONTINUITÉS ET DES
CONTEXTES
En effet, la vie des peuples,
leur survivance collective, les possibilités de se constituer des foyers
nationaux et d’accéder au statut d’État, de facto d’abord, de jure ensuite, ne
dépendent que PARTIELLEMENT des batailles militaires gagnées ou perdues. Ce qui
compte, ce sont les CONTINUITÉS, L’AGIR EN CONTEXTE, à l’intérieur desquels les
événements s’inscrivent dans une perspective d’envergure, qui dépasse les
perceptions immédiates et imagées qui ne mènent nulle part. Il y a continuité
lorsque des développements dans l’espace et dans le temps se maintiennent
envers et contre les obstacles qui se présentent et les accidents de parcours,
y compris les batailles militaires et diplomatiques, gagnées ou perdues.
Dans cette perspective, les
instants qu’on qualifie de privilégiés servent à marquer la progression d’une
continuité. On ne doit pas confondre l’instant avec le moment, hors contexte.
Dans la même veine, une instance déterminante signifie le passage de
l’intention à l’acte par le moyen de la parole. En effet, toute instance
s’inscrit dans une continuité qui fait partie de la trame de l’existence comme
telle. Même une bataille militaire ou diplomatique doit être envisagée comme une
instance aux potentialités limitées dans l’espace et dans le temps par les
nécessités et le jeu des relations. La politique est affaire d’intérêts, de
rapports de forces et d’effectivité. De même les guerres et les batailles.
LE PIÈGE DES AFFECTS
Car l’existence, qui est relation
en acte et en puissance (in actu et in potentia), est à la fois continue et
discontinue. Or, la qualité de l’existence est en rapport avec la qualité de la
relation et l’envergure du champ de conscience qui en résulte. D’où nécessité
d’examiner l’histoire dans une perspective géopolitique, discipline vouée à
l’explication systématique des États, par le moyen du discernement entre
l’univers de la causalité et celui de la relation. (cf. Buber, Martin. Je et
Tu. Aubier 1969. 172p). Lorsque la causalité ne dépasse pas le niveau de
l’image réduite et que la relation est piégée au niveau des affects, la
conscience demeure primaire et incapable d’apprécier une question d’envergure
comme celles qui concernent les États. À une population qui ne dépasse pas ces
niveaux, il est facile de lui dire : « Vous avez perdu telle ou telle bataille
et vous devez vous soumettre ». Ne réalisant pas le caractère transitoire d’une
victoire militaire, la population ainsi apostrophée paralyse et fait le jeu du
vainqueur du moment.
POLITIQUE ET GUERRE SONT AFFAIRES
D’INTÉRÊTS, DE RAPPORTS DE FORCES ET D’EFFECTIVITÉ, NON DE SENTIMENTALITÉ À
L’EAU DE ROSE
Lorsque, plus ou moins
consciemment, on a entrepris de construire notre propre État, comme nous le
faisons depuis plusieurs siècles, nous nous devons d’étudier l’histoire dans la
perspective des jeux d’intérêts, de rapports de forces et des nécessités liées
à l’effectivité des pouvoirs en place ou en voie de l’être. Ces nécessités
s’articulent autour de principes (ou axiomes) universels connus mais pas
nécessairement mis en pratique et qui font l’objet du chapitre 9 dans
Géopolitique et avenir du Québec (Guérin, 1994). Pour les besoins de la cause,
rappelons-les sommairement : Appréciation compétente et rigoureuse du contexte
et de la situation; détermination et maintien d’objectifs praticables et
réalisables; maintien du moral; concentration et économie de l’effort;
simplicité et souplesse; sécurité et surprise (à cause de l’adversité);
coopération; coordination; administration et logistique. Ces concepts
constituent l’appareil central du jugement critique en géopolitique.
ASSISES DU POUVOIR
La connaissance des fondements du
pouvoir réel, soit : jeu des intérêts, des rapports de forces et des nécessités
liées à l’effectivité, nous conduit au delà des stériles querelles idéologiques
et des perceptions erronées propres à la sentimentalité et à l’âge mental de
cinq ans. Elle permet au champ de conscience d’acquérir l’envergure nécessaire
pour apprécier avec rigueur les contextes et les situations qui se présentent à
nous et partant, de déterminer des objectifs praticables et réalisables en
termes de temps et d’espace et de passer aux actes afin de les réaliser, à
l’intérieur du cadre géographique, économique et politique existant. C’est
toute l’existence qui prend son sens et ouvre des perspectives et des
possibilités d’agir avec envergure. L’État, instrument privilégié de l’agir des
peuples et de la liberté qui en résulte, ne prétend pas davantage.
ENCORE LES AFFECTS
Ne comprenant pas le sens d’un
statut, soit de fait, soit de droit, les Québécois comprennent mal pourquoi ils
ont survécu comme peuple et ce qui est encore plus important, comment ils ont
pu renverser le cours de l’histoire et accéder au statut de nation disposant
déjà des assises de son propre État. Conséquence d’une mauvaise instruction,
leur jugement politique dépasse rarement le niveau primaire des affects. C’est
un des nombreux pièges de l’adversaire, qui cherche à perpétuer notre
inféodation servile au pouvoir central, centraliste, unitaire, arbitraire des
United Empire Loyalists concentrés à Ottawa et à Toronto. Ce pouvoir, nous
pouvons et nous devons nous en soustraire, afin d’acquérir l’envergure
nécessaire pour agir par nous-mêmes.
NOTRE TERRITOIRE NE NOUS
APPARTIENT PAS
Depuis le 10 février 1763, le
territoire de l’Amérique Britannique du Nord est possession de jure, non pas de
facto mais de jure, de la Couronne Britannique. Le Canada Act du 17 avril 1982
n’y a rien changé. Le « rapatriement de la Constitution (sic) » ne signifie
aucune modification du statut territorial de l’espace continental canadien, qui
comprend l’espace québécois. Ceci veut dire que la soi-disant indépendance
canadienne est subordonnée au fait qu’aucun Canadian, ou Québécois, ne peut
revendiquer de possession territoriale de plein droit (de jure). C’est le
statut d’un locataire en face de son propriétaire. Le locataire est libre mais
doit tenir compte du fait que le propriétaire conserve un droit de regard et de
désaveu sur le domaine et que ce droit peut se traduire par une intervention en
force pour obliger le locataire à se soumettre aux modèles proposés par le
propriétaire. Le locataire peut « avoir » la propriété mais ne la possède pas.
Cette situation dure aussi longtemps que le locataire n’a pas trouvé moyen d’en
acquérir les titres.
Transposez cet exemple aux grands
domaines collectifs que sont les foyers nationaux et vous comprendrez du moins
sommairement ce que veut dire possession de fait (de facto) et de droit (de
jure).
Prenons un exemple pour illustrer
ce qui précède, un exemple qui nous intéresse. En 1066, nos ancêtres de
Normandie, de Bretagne et des autres régions côtières de la France maritime,
ont constitué une armée et sont débarqués en Angleterre, à Pevensey, pour faire
la conquête du pays. Les relations étaient mauvaises entre les côtes de France
et celles d’Angleterre et il fallait poser un acte décisif pour en finir. Donc,
l’armée commandée par Guillaume de Normandie débarqua sur le sol anglais et
alla rencontrer l’armée saxonne du roi Harold, à Hastings, au sud de Londres
Les Saxons sont déjà fatigués par la bataille qu’ils viennent de livrer à
Stanfordbridge, dans le Yorkshire, situé en face des côtes de Norvège, contre
une armée norvégienne commandée par le roi Harald Hardrada.
Les Norvégiens ont perdu et
l’armée saxonne s’est précipitée en hâte vers le sud afin de faire échec aux
Normands à leur tour. Or, ce sont les Normands qui ont gagné cette fois mais
leur victoire n’a pas été facile. Il semble qu’un coup de chance a emporté la
décision, lorsqu’une flèche perdue frappa mortellement le roi Harold dans un
œil. Le 25 décembre de la même années, Guillaume se faisait sacrer roi
d’Angleterre sous le nom de William The First, King of England. Il ne parlait
pas un mot d’anglais, langue populiste, chargée d’affects et peu propice aux
nécessités intellectuelles d’un État. Les Normands prenaient possession de jure
du territoire anglais, bien que ce territoire n’ait pas été colonisé ni mis en
valeur par eux, ce qu’on appelle la prise de possession de facto. C’est le
développement et la mise en valeur par un peuple qui donne à un domaine son
statut de fait (de facto).
Récapitulons cet événement du
point de vue de la stratégie géopolitique générale. Les Normands ont gagné par
le fait d’une victoire militaire et en conséquence, ont pris possession DE JURE
de l’Angleterre. Ce qui veut dire, possession suivant le droit du plus fort du
moment. Mais ils n’étaient pas possédants DE FACTO, parce que le sol était
majoritairement occupé par les Saxons, avec des concentrations de populations
celtiques à l’ouest, dans le Pays de Galles, au sud-ouest, en Cornouailles
(Cornwall), au nord, en Écosse et en Irlande. Les autres populations
germaniques provenant de l’angle de terre des côtes de la plaine
germano-polonaise et du Schleswig Holstein (voyez les cartes) comprenaient des
Angles, des Jutes et des Frisons, tous alliés des Saxons, qui défricheraient le
sol et en poursuivraient le développement malgré la présence normande. Comme
partout en Europe, l’Angleterre comportait beaucoup d’espaces vides et propices
à la colonisation. Nous sommes au Moyen Âge et les populations sont beaucoup
plus faibles en nombre et en concentration dans leurs territoires que celles
des temps actuels, alors que la croissance démographique mondiale a augmenté
d’une manière exponentielle avec les progrès de l’industrie, des sciences et
surtout de la médecine, depuis les derniers 150 ans à peine.
La bataille de Hastings nous
enseigne qu’une victoire militaire n’est pas suffisante pour conquérir un pays.
Les Normands le savent, eux qui possèdent le sens de l’État et du pouvoir et qui
ont constitué le meilleur État féodal en Europe. Aussi, ils s’efforceront d’une
part de conquérir le cœur des Saxons en leur offrant des lois et une
administration aussi équitable que possible, ce qui est impossible dans une
relation basée sur l’inféodation. D’autre part, ils tenteront de coloniser
l’Angleterre avec des ressortissants venus des côtes maritimes de France. Ceci
aussi est impossible parce que personne ne veut quitter la France pour
l’Angleterre, pour la simple raison que la France est un beau pays et que
l’Angleterre est grise, humide, froide et triste.
Seule une caste de seigneurs
terriens s’y rendra pour aider les rois à imposer leurs lois, mais cela non
plus ne réussira pas. Finalement, l’ambition des anglo-normands de prendre
possession de toute la France comme de l’Angleterre, l’Écosse, l’Irlande et le
Pays de Galles, leur vaudra une défaite militaire décisive contre une armée
française commandée par une femme. Pour les Anglais, Sainte Jeanne d’Arc est
libératrice de l’Angleterre autant que de la France. Dorénavant, guerre ou pas,
les deux pays demeureront distincts. Telle est la volonté divine, qui, depuis
l’Exode, n’accepte pas qu’aucun peuple soit inféodé et servilement soumis à un
autre peuple ou groupe d’intérêt. Chaque peuple de la terre doit se prendre en
charge et se gouverner lui-même, apprendre à agir en pleine conscience et
répondre de ses actes, comme de son refus d’agir, devant le Tribunal de
l’Éternité, que personne ne pourra éviter. Le monde sera contrasté et
différencié, non pas uniformisé, homogénéisé, glauque, indifférencié et inféodé
à une sorte de gouvernement mondial. L’existence dans le monde actuel de 192
États distincts, dont chacun est unique et identique à lui-même et à lui-même
seul, prouve que la volonté divine a eu le dernier mot et l’aura encore. Le «
mondialisme » voulu par les impérialistes et les gros capitaux ne durera qu’un
temps.
CONTINUITÉS GÉOGRAPHIQUES
La Conquête de l’Angleterre par
les Normands aidés des autres habitants des côtes maritimes de France a duré
quatre siècles au Moyen Âge. Au 16e siècle, les gros commerçants de France
firent appel aux mêmes habitants des côtes maritimes pour aller conquérir en
Amérique du Nord d’immenses richesses en fourrures, bois et poissons. Pourquoi
les habitants des côtes maritimes de la Normandie, Picardie, Bretagne, Poitou,
Anjou et Aquitaine et non les autres Français? Simplement parce que ces
habitants connaissaient la mer, la navigation à long cours dans les eaux
glaciales de l’Atlantique nord et aussi dans les eaux intérieures de la Manche,
la baie de Biscaye, la Méditerranée. Ils étaient experts dans la construction
des navires même s’ils n’avaient pas toujours les moyens d’en construire les
meilleurs. Il faut beaucoup d’argent pour construire de bons navires et comme
les habitants des côtes sont généralement peu fortunés, ils doivent réussir
avec les moyens du bord. Récemment, l’Angleterre vient de leur décerner le
contrat pour la construction du paquebot de croisière géant Elizabeth the
Second, qui sera probablement rassemblé dans les chantiers de St-Nazaire, en
Bretagne. Ils ne manquent pas de talents, nos proches cousins d’outre
Atlantique, mais la perspective de traverser l’Atlantique nord avec ses
températures glaciales, ses tempêtes et ses vagues géantes, ne souriait guère
aux générations des 16e, 17e et 18e siècles. Même les gens les plus compétents
ont des limites, mais l’ambition du profit les poussa à tenter l’aventure. La
moitié des navires envoyés vers le Saint-Laurent n’ont pu s’y rendre, ayant fait
naufrage quelque part dans les eaux glacées de l’Atlantique nord.
CHANGEMENTS DE RÔLES
En Amérique du Nord, les
habitants se sont déployés dans le Saint-Laurent, sous le commandement des
navigateurs bretons et français, afin de développer le commerce des fourrures,
du bois et de la pêche, tel que voulu par les gros intérêts qui exploitaient la
Monarchie française à cet effet. Il n’était question que de commerce
continental et maritime et non de s’établir en permanence dans ce pays trop
froid, aux sols post-glaciaires peu propices à l’agriculture et au climat
continental trop rude pour des gens habitués à vivre dans les climats modérés
des régions maritimes.
Peu à peu, cependant, les
autorités françaises ont décidé d’y établir une colonie permanente, par le
moyen de fondations et le développement d’un régime de colonisation et mise en
valeur des espaces disponibles le long du Saint-Laurent, peu importent les
difficultés. Cette décision culmine sous Louis Xlll et son premier ministre
Richelieu. Les marins vont devenir des défricheurs, des colonisateurs et des
habitants, ce qu’ils ne semblent pas avoir particulièrement apprécié, mais il
fallait le faire. La politique du régime seigneurial, mise au point sous
Richelieu, était destinée à cette fin. Les seigneurs vont durer tant que le sol
ne sera pas suffisamment occupé, défriché et développé, avec quelques
infrastructures et ce régime changera ensuite en conséquence.
Or, le territoire du Québec est
probablement un des plus durs au monde à développer et mettre en valeur.
Cependant, par un travail acharné, les générations qui nous ont précédés ont
fini par y arriver. Nous leur devons une dette particulière, nous, qui disposons
actuellement de moyens impensables aux générations précédentes, qui ont trimé
dur avec leurs mains et le travail des chevaux et des bœufs, hommes et femmes
travaillant côte à côte sans se chercher querelle à tout propos. La misère
oblige à composer les uns avec les autres et à ne pas se désolidariser, quoi
qu’il arrive. Nous avons le devoir de respecter la mémoire des générations qui
nous ont précédés et qui ont trimé tellement dur pour faire du Québec un des
plus beaux pays du monde. Cette réussite est la nôtre.
Donc, cette fois, contrairement
aux générations du Moyen Âge, qui ont refusé d’aller défricher et coloniser
l’Angleterre, les ancêtres des 16e et 17e siècles vont trimer très dur pour
développer et dompter une terre ingrate. Pour les habitants des côtes de la
France maritime, c’est une nouveauté. Pour les habitants de la vallée du
Saint-Laurent, c’est une métamorphose radicale de toute leur vie, individuelle
et collective, une vie complètement nouvelle, qui, chez un peuple, exige
plusieurs siècles d’adaptation. Lorsqu’on regarde le Québec de 2002, il est
étonnant de constater jusqu’à quel point nous nous sommes adaptés et avons
métamorphosé cette nature sauvage et glaciale en un beau pays.
Sur le plan géopolitique, c’était
aussi une conquête territoriale par osmose, par le défrichement, le
développement, la mise en valeur du sol, l’aménagement d’infrastructures et la
fondation d’institutions inspirées des institutions françaises, à mentalité
aristocratique et dans une langue aristocratique. Singulier contraste que le
fait de construire de fait (de facto) un pays neuf, avec toutes les misères de
la colonisation, s’accomplisse en même temps que le développement
d’institutions capables de fournir des services comparables à toutes celles
qu’avait connues la France monarchique. La nation et l’État du Québec
s’annonçaient dès cette époque. C’était un progrès énorme, rapide et
indéniable. Que les perfectionnistes s’abstiennent de juger, de dénigrer et de
déprimer les autres qui y voient un succès, dont nous avons toutes les raisons
d’être fiers, mais que notre mentalité de peuple colonisé et inféodé nous
empêche d’apprécier à sa juste valeur.
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