« Les
commissaires politiques pleurent-ils, dans la solitude de la nuit ? »
Paco Ignacio Taibo II,
Les Archanges.
Texte paru en 2010 et extrait du numéro I du Père la Purge - Organe officiel du frôlement Anti-Moderne
Il est temps aujourd’hui
pour le Père La Purge, installé du mieux qu’il le peut sur la banquette
moleskine d’un caboulot parisien, encerclé de près par cette clientèle
aseptisée, conformiste et branchée dont il se fout pas mal, de commander un
amer-africain et de vous causer droit dans les yeux, sans jamais lâcher son
bock, de la figure la plus hautement romantique de l’Histoire politique. Il
s’agit de ceux qui réunis sous un sigle qui claque comme un coup de fouet, diffusaient
l’implacable vérité par le canon de leur pistolet automatique Mauser
C-96. De ceux qui avec leur tenue intégrale en cuir noir, feraient fureur au
prochain défilé de la « Fashion week » en embarquant méticuleusement – au nom du Peuple - toute la putasserie parisianiste. Ceux de
cette race indéfectible, offert corps et âme à la plus noble des causes et dont
la tâche indispensable par la « Terreur rouge » était de débusquer et
supprimer, d’abord les traitres, mais aussi les saboteurs, les espions et
infiltrés en tous genres. Si vous ne voyez pas il ne me reste plus qu’à rendre
mes billes ! Je veux bien évidemment parler des figures du tchékiste et du
commissaire politique. Foutre ! Ca se cabre et je vois déjà vos grimaces
effarouchées. Il n’y a que chez ceux la pourtant, que se mêle admirablement la
passion pure d’un idéal progressiste avec un fanatisme mûri et justifié par des
années de répression tsariste et une situation catastrophique qui voyait la
révolution d’octobre 1917 à deux doigts de s’effondrer sous les coups de
boutoirs de ses trop nombreux ennemis. Car oui, ceux qu’on prend à tort dans
les mauvais livres d’histoire pour de tristes exécuteurs, des brutes sans
cervelles, voir de froids bourreaux d’une révolution qui se perdra, se
distinguent par une pureté qui ne devait rien au hasard. Génération née sous le
knout des tsars, ils ont vu les manifestations réprimées, chargées par les
cosaques, les sabots des chevaux écrasées les femmes et les enfants affamées.
Soyons lucides, à combien d’exécutions sans pitié, d’humiliations, et d’oppression,
répliquaient les excès qu’on put commettre les tchékistes et autres
commissaires politiques ? Ils ont vécu comme un poison sans issu la
paranoïa qui régnait dans le milieu révolutionnaire, tellement infiltré sous le
régime impériale, qu’aucun conspirateur politique ni même une cellule entière
n’était à l’abri d’une dénonciation qui
les condamnaient à la torture et aussi sûrement à la prison, voir à la
pendaison.
Boris Pasternak dans son sublime roman fleuve Le docteur Jivago nous dresse le portrait de Pavel Antipov Pavlovitch, jeune étudiant baigné par l’idéal socialiste qui après 1917, pendant la guerre civile, parcourt le front sibérien sous le pseudonyme bolchevik de Strelnikov , dans un train blindé parsemé de drapeaux qui soulèvent d’énormes nuages de vapeurs blanches et que saluent de « hourrah ! » les marins rouges à son passage. Arrivé à l’improviste sur les points sensibles du front, son nom fait frémir. Il juge, condamne et fait exécuter ses arrêts sans sourciller. Il est l’illustration exemplaire de ses hommes et parfois de ses femmes, nous le verrons, dont l’idée inexpugnable est de servir d’arbitre entre la vie et les mauvais principes qui la souille, de venger la vie. La grande révolution d’octobre lui en a donné les moyens et…les armes. Outre ceux qui sont entrés dans la légende comme les glorieux 26 commissaires de Bakou fusillés en 1918 par les gardes blancs, ou Moïse Salomonovitch Ouritski, chef de la Tcheka de Petrograd assassiné la même année, il existe un exemple significatif qui n’appartient pas à la littérature comme le personnage de Pasternak mais bien à l’Histoire réelle. A la même époque Larissa Reisner est une jeune militante bolchevik, élégante et raffinée, qui a composé une pièce de théâtre sous forme d’essai à l’âge de 17 ans. Elle commence par travailler au service des biens culturels où elle s’épuise à protéger et répertorier le patrimoine artistique dans cette période de chaos qui voit la révolution soumise à un étau de plusieurs fronts qui se forme contre elle, à l’intérieur même et aux quatre coins de l’immense Russie. Cette tâche ne lui suffit guère quand elle épouse Feodor Raskolnikov, ancien étudiant sans le sou, élevé dans les sinistres internats tsaristes, organisateur de soviet de Kronstadt et nommé Commissaire à l’Etat Major général de la marine. Tant que durera la guerre civile, Larissa ne séparera jamais la cause qu’elle sert de son amour pour le jeune commissaire. Et c’est en véritable couple de cinéma, à la tête de la flottille de la Volga composé de marins de Kronstadt, qu’ils vont vivre un amour impétueux, de batailles navales en combats nocturnes contre les troupes blanches, en passant par les incursions en territoire ennemi. Car si Larissa est d’abord affecté à la section d’espionnage, elle rejoint vite l’homme qu’elle aime en tant que commissaire politique au sein de la Vème armée rouge. Toujours le doigt sur la détente, elle crève d’admiration pour les marins sales et mal nourris, mais toujours héroïques qu’elle entraîne au combat et qui après un bombardement, le moment de frayeur passé se jettent sur leurs pièces pour répliquer. Elle nous livre admirablement sur cette période : « Comment expliquer cela ? Par force, il faut inventer des mots qui l’emportent sur la lâcheté innée, inévitable, de la chair. » Elle tente de libérer son mari, capturé par les forces interventionnistes britanniques et qui est finalement libéré lors d’un échange de prisonniers. Enfin, ils terminent le conflit, toujours plus amoureux sur le pont de leur canonnière, qui les a porté de la Baltique jusqu’aux confins de la Perse.
Combien d’autres commissaires politiques ou tchékistes,
aussi férocement caricaturés que l’éternel bolchevik au sourire sanglant, le
couteau entre les dents n’ont pas accompli leur devoir qu'avec la cruauté
mélancolique et la nécessité qui s’imposait ? La révolution était menacée
et pour la sauver, il a fallu prendre bien des mesures terribles mais
indispensables. Si il est des actions a leur actif, certes peu flatteuses,
regrettables et parfois condamnables comme la répression des anarchistes, des
grèves d’ouvriers ou même de Kronstadt, commises
pendant la guerre civile, comment pleurer sur les officiers blancs, les
propriétaires tsaristes, les traîtres mencheviks, les popes ? En
1917-1921, le souvenir de la Commune de Paris de 1871 écrasée dans le sang par
la réaction n’était pas loin et l’indulgence criminelle dont elle avait fait
part était interprétée par les bolcheviks comme un signe de faiblesse. Ceux qui
dénigraient cette Terreur rouge ne faisaient que chialer sur une révolution
idéaliste, inspirée par la sensiblerie, qui n’aurait pas survécu. Si la contre
révolution l’aurait emporté en Russie, il est indéniable qu'elle n’aurait pas
été plus clémente, loin de là ! Cette certitude d’une défaite possible et de la terrible
répression qui pouvait s’abattre hantait le parti révolutionnaire et a justifier,
un temps du moins, les mesures qu'il a pu prendre. Nombre de ces commissaires
politiques et membres de la Tcheka n’ont jamais été les brutes machiavéliques
qu'on a bien voulu nous faire croire, mais de jeunes hommes, assurément
fanatiques et animés d’une passion sauvage mais surtout prêt a tout assumer
pour que la révolution, symbole de tant d’espoir et menacé de toutes parts,
survive. On sait ce qu'elle deviendra, mais c’est une autre histoire.
La cantatrice Nadia Pleviskaïa pourra continuer de rire de cette
vermine rouge, il n y aura jamais grand monde pour admirer la trempe de ces
jeunes hommes aux boucles slaves ou au visage d’antique guerrier d’Israël comme
le décrivait Victor Serge dans ses Mémoires d’un révolutionnaire
évoquant également « La petite tchékiste blonde d’Odessa que l’on disait si
sanguinaire ». La comtesse Marina Seminova qui se croit délicieusement
romantique pourra toujours ricaner de ces personnalités écorchés d’hommes et de
femmes aussi secrètes que farouches, non exempts d’un certain puritanisme, qui
le browning en sautoir, prenaient le thé en lisant quelques vers avant de
lancer leurs mots d’ordres et de verser leur sang à la face du vieux monde. Et
si cette démonstration, jeune antimoderne, ne te convaincs pas, alors
foutre ! Souviens toi bien de ce que disait Hergé à ces jeunes et très
catholiques lecteurs des débuts : « La
Tcheka à l’œil sur toi ô Tintin ! »
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