mercredi 29 février 2012

« Les commissaires politiques pleurent-ils, dans la solitude de la nuit ? »



« Les commissaires politiques pleurent-ils, dans la solitude de la nuit ? »
Paco Ignacio Taibo II, Les Archanges.

Texte paru en 2010 et extrait du numéro I du Père la Purge - Organe officiel du frôlement Anti-Moderne


Il est temps aujourd’hui  pour le Père La Purge, installé du mieux qu’il le peut sur la banquette moleskine d’un caboulot parisien, encerclé de près par cette clientèle aseptisée, conformiste et branchée dont il se fout pas mal, de commander un amer-africain et de vous causer droit dans les yeux, sans jamais lâcher son bock, de la figure la plus hautement romantique de l’Histoire politique. Il s’agit de ceux qui réunis sous un sigle qui claque comme un coup de fouet, diffusaient  l’implacable vérité par  le canon de leur pistolet automatique Mauser C-96. De ceux qui avec leur tenue intégrale en cuir noir, feraient fureur au prochain défilé de la « Fashion week » en embarquant méticuleusement  – au nom du Peuple -  toute la putasserie parisianiste. Ceux de cette race indéfectible, offert corps et âme à la plus noble des causes et dont la tâche indispensable par la « Terreur rouge » était de débusquer et supprimer, d’abord les traitres, mais aussi les saboteurs, les espions et infiltrés en tous genres. Si vous ne voyez pas il ne me reste plus qu’à rendre mes billes ! Je veux bien évidemment parler des figures du tchékiste et du commissaire politique. Foutre ! Ca se cabre et je vois déjà vos grimaces effarouchées. Il n’y a que chez ceux la pourtant, que se mêle admirablement la passion pure d’un idéal progressiste avec un fanatisme mûri et justifié par des années de répression tsariste et une situation catastrophique qui voyait la révolution d’octobre 1917 à deux doigts de s’effondrer sous les coups de boutoirs de ses trop nombreux ennemis. Car oui, ceux qu’on prend à tort dans les mauvais livres d’histoire pour de tristes exécuteurs, des brutes sans cervelles, voir de froids bourreaux d’une révolution qui se perdra, se distinguent par une pureté qui ne devait rien au hasard. Génération née sous le knout des tsars, ils ont vu les manifestations réprimées, chargées par les cosaques, les sabots des chevaux écrasées les femmes et les enfants affamées. Soyons lucides, à combien d’exécutions sans pitié, d’humiliations, et d’oppression, répliquaient les excès qu’on put commettre les tchékistes et autres commissaires politiques ? Ils ont vécu comme un poison sans issu la paranoïa qui régnait dans le milieu révolutionnaire, tellement infiltré sous le régime impériale, qu’aucun conspirateur politique ni même une cellule entière n’était  à l’abri d’une dénonciation qui les condamnaient à la torture et aussi sûrement à la prison, voir à la pendaison.


Boris Pasternak dans son sublime roman fleuve  Le docteur Jivago  nous dresse le portrait de Pavel Antipov Pavlovitch, jeune étudiant baigné par l’idéal socialiste qui après 1917, pendant la guerre civile, parcourt le front sibérien sous le pseudonyme bolchevik de Strelnikov , dans un train blindé parsemé de drapeaux qui soulèvent d’énormes nuages de vapeurs blanches et que saluent de « hourrah ! » les marins rouges à son passage. Arrivé à l’improviste sur les points sensibles du front, son nom fait frémir. Il juge, condamne et fait exécuter ses arrêts sans sourciller. Il est l’illustration exemplaire de ses hommes et parfois de ses femmes, nous le verrons, dont l’idée inexpugnable est de servir d’arbitre entre la vie et les mauvais  principes qui la souille, de venger la vie. La grande révolution d’octobre lui en a donné les moyens et…les armes. Outre ceux qui sont entrés dans la légende comme les glorieux 26 commissaires de Bakou fusillés en 1918 par les gardes blancs, ou Moïse Salomonovitch Ouritski, chef de la Tcheka de Petrograd assassiné la même année, il existe un exemple significatif qui n’appartient pas à la littérature comme le personnage de Pasternak mais bien à l’Histoire réelle.  A la même époque Larissa Reisner est une jeune militante bolchevik, élégante et raffinée,  qui a composé une pièce de théâtre  sous forme d’essai à l’âge de 17 ans. Elle commence par travailler au service des biens culturels où elle s’épuise à protéger et répertorier le patrimoine artistique dans cette période de chaos qui voit la révolution soumise à un étau de plusieurs fronts qui se forme contre elle, à l’intérieur même et aux quatre coins de l’immense Russie. Cette tâche ne lui suffit guère quand elle épouse Feodor Raskolnikov, ancien étudiant sans le sou, élevé dans les sinistres internats tsaristes, organisateur de soviet de Kronstadt et nommé Commissaire à l’Etat Major général de la marine. Tant que durera la guerre civile, Larissa ne séparera jamais la cause qu’elle sert de son amour pour le jeune commissaire. Et c’est en véritable couple de cinéma, à la tête de la flottille de la Volga composé de marins de Kronstadt, qu’ils vont vivre un amour impétueux, de batailles navales en combats nocturnes contre les troupes blanches, en passant par les incursions en territoire ennemi. Car si Larissa est d’abord affecté à la section d’espionnage, elle rejoint vite l’homme qu’elle aime en tant que commissaire politique au sein de la Vème armée rouge. Toujours le doigt sur la détente, elle crève d’admiration pour les marins sales et mal nourris, mais toujours héroïques qu’elle entraîne au combat et qui après un bombardement, le moment de frayeur passé se jettent sur leurs pièces pour répliquer. Elle nous livre admirablement sur cette période : « Comment expliquer cela ? Par force, il faut inventer des mots qui l’emportent sur la lâcheté innée, inévitable, de la chair. » Elle tente de libérer son mari, capturé par les forces interventionnistes britanniques et qui est finalement libéré lors d’un échange de prisonniers. Enfin, ils terminent le conflit, toujours plus amoureux sur le pont de leur canonnière, qui les a porté de la Baltique jusqu’aux confins de la Perse.


Combien d’autres commissaires politiques ou tchékistes, aussi férocement caricaturés que l’éternel bolchevik au sourire sanglant, le couteau entre les dents n’ont pas accompli leur devoir qu'avec la cruauté mélancolique et la nécessité qui s’imposait ? La révolution était menacée et pour la sauver, il a fallu prendre bien des mesures terribles mais indispensables. Si il est des actions a leur actif, certes peu flatteuses, regrettables et parfois condamnables comme la répression des anarchistes, des grèves d’ouvriers  ou même de Kronstadt, commises pendant la guerre civile, comment pleurer sur les officiers blancs, les propriétaires tsaristes, les traîtres mencheviks, les popes ? En 1917-1921, le souvenir de la Commune de Paris de 1871 écrasée dans le sang par la réaction n’était pas loin et l’indulgence criminelle dont elle avait fait part était interprétée par les bolcheviks comme un signe de faiblesse. Ceux qui dénigraient cette Terreur rouge ne faisaient que chialer sur une révolution idéaliste, inspirée par la sensiblerie, qui n’aurait pas survécu. Si la contre révolution l’aurait emporté en Russie, il est indéniable qu'elle n’aurait pas été plus clémente, loin de là ! Cette certitude  d’une défaite possible et de la terrible répression qui pouvait s’abattre hantait le parti révolutionnaire et a justifier, un temps du moins, les mesures qu'il a pu prendre. Nombre de ces commissaires politiques et membres de la Tcheka n’ont jamais été les brutes machiavéliques qu'on a bien voulu nous faire croire, mais de jeunes hommes, assurément fanatiques et animés d’une passion sauvage mais surtout prêt a tout assumer pour que la révolution, symbole de tant d’espoir et menacé de toutes parts, survive. On sait ce qu'elle deviendra, mais c’est une autre histoire.


La cantatrice Nadia Pleviskaïa pourra continuer de rire de cette vermine rouge, il n y aura jamais grand monde pour admirer la trempe de ces jeunes hommes aux boucles slaves ou au visage d’antique guerrier d’Israël comme le décrivait Victor Serge dans ses Mémoires d’un révolutionnaire évoquant également  « La petite tchékiste blonde d’Odessa que l’on disait si sanguinaire ». La comtesse Marina Seminova qui se croit délicieusement romantique pourra toujours ricaner de ces personnalités écorchés d’hommes et de femmes aussi secrètes que farouches, non exempts d’un certain puritanisme, qui le browning en sautoir, prenaient le thé en lisant quelques vers avant de lancer leurs mots d’ordres et de verser leur sang à la face du vieux monde. Et si cette démonstration, jeune antimoderne, ne te convaincs pas, alors foutre ! Souviens toi bien de ce que disait Hergé à ces jeunes et très catholiques lecteurs des débuts : « La Tcheka à l’œil sur toi ô Tintin ! »


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire