Vème partie
La présence de la cavalerie est
infime dans l’expédition de 1830 puisque l’effectif global se limite à trois
escadrons : deux du 17e régiment de Chasseurs (dont un armé de lances, voir illustration) et un du 13e régiment de
Chasseurs. Les 3 escadrons n'ont pas beaucoup à combattre depuis le débarquement jusqu'à la prise d'Alger, les combats se confinant à des tiraillades meurtrières et à de multiples escarmouches et petites charges à la baïonnette... pour l'infanterie exclusivement.
Dès 1831, un rapport provenant du
bureau des opérations militaires, adressé au ministre de la Guerre, fait état
de l’attachement de certains officiers du 17e à la branche aînée des Bourbons.
L’affaire trouve son origine dans une déclaration publique d’un membre de
l’état-major de Clauzel qui avait affirmé "que l’armée d’Afrique était
toute carliste et que l’on portait des toasts à Charles X… et que dans le 17e
régiment de Chasseurs plusieurs officiers ne se cachaient pas de cette
opinion".
Après une enquête interne,
Monsieur Passy, attaché au général Clauzel, accusé d’avoir tenu certains de ces
propos, est convoqué par les autorités militaires pour répondre à ces
accusations.
Les affirmations sur
l’attachement de certains officiers aux Bourbons et à Charles X sont fondées
mais il est excessif d’affirmer l’attachement de l’armée d’Afrique au carlisme.
Ces faits traduisent avant tout un attachement personnel de certains officiers
à la branche aînée. L’affirmation de cet attachement se produit dans un cadre
de sociabilité précis, entre officiers de même grade, facilitant l’expression
de convictions politiques.
Assez tôt,
les régiments de l’armée française durent faire face aux actions menées par des
cavaliers arabes organisés qui bénéficiaient d’une connaissance de la
géographie leur conférant une mobilité accrue. Face à cette situation, la
création d’une cavalerie légère s’imposait. C’est pour remédier aux attaques
surprises facilitées par la vitesse des chevaux utilisés par les bédouins et
pour leur manière de combattre que furent créés par l’ordonnance du 21 mars 1831, deux escadrons de chasseurs algériens dit aussi "chasseurs numides" ou plus justement "zouaves à cheval" car jumelés à la formation d’un bataillon de zouaves .
La planche de Boisselier nous montre à droite Guillaume Stanislas Marey-Monge qui avait servi successivement dans 3 régiments d’artillerie à cheval avant l’expédition d'Alger. En 1830, il est attaché à l'état-major du général de La Hitte, commandant l'artillerie du corps expéditionnaire. Le maréchal Clausel, « qui se connaissait en braves », chargea le capitaine Marey-Monge de former nos deux escadrons de chasseurs algériens. Il fut promu chef d'escadron provisoire de cavalerie, le 21 octobre 1830.
L’ordonnance de création
permettait le recrutement de cavaliers indigènes à la condition que l’effectif
de ces cavaliers ne soit pas supérieur à quarante cavaliers.
Si l’effectif des Chasseurs
d’Afrique était jugé insuffisant, il était prévu d’y ajouter des cavaliers "colons" ou indigènes, en nombre indéterminé, appelés au service en cas de besoin
exceptionnel et sur ordre du général, commandant l’armée d’Afrique. Ces
cavaliers furent regroupés sous l’appellation de chasseurs spahis. Ils devaient
se monter, s’équiper et s’armer par eux-mêmes. Ils sont à l’origine de la
constitution des régiments de spahis. On en reparlera…
Ces deux escadrons formaient un
effectif global de 330 hommes, composé de volontaires français ou étrangers de
tous grades. Il est intéressant d’observer que les deux escadrons de chasseurs
algériens étaient administrés, à l’origine, par l’infanterie.
Ce n’est qu’à
partir du 17 novembre 1831 que les chasseurs algériens s’organisèrent en
Chasseurs d’Afrique. L’ordonnance du roi prévoyait la création de deux
régiments de cavalerie légère appelés Chasseurs d’Afrique. Le premier fut formé
à Alger, le second à Oran.
Le 17e régiment de Chasseurs, qui
avait participé à l’expédition de 1830, servit de vivier pour les cadres -
officiers et sous-officiers - comme pour un certain nombre de cavaliers
incorporés dans les deux régiments nouvellement organisés.
Le 1er régiment de chasseurs
d’Afrique, créé en vertu d’une ordonnance du 17 novembre 1831. Ce régiment
comprenait : 1° l’escadron des chasseurs algériens, 2° trois cents hommes tirés
des régiments de France, 3° quarante enrôlés volontaires, 4° vingt hommes par
escadron du 12 e chasseur (ancien 17e). D'abord formé à quatre escadrons, ce
régiment prit tout de suite le service des avant-postes, service que l’on
aurait pu raisonnablement exiger de trois régiments de même force. Sans vêtements,
sans chaussures, au milieu de la pluie et de la boue, ces braves soldats
montrèrent une discipline et une bonne volonté dignes de vieilles bandes. C’est
qu’ils avaient un rude colonel, un vieux soldat de l’empire, M. de Schauenbourg.
La première tenue, d’inspiration très
polonaise (la récente insurrection polonaise avait la sympathie de l'opinion française)
était constituée d'un habit-capote très ample, et d'un czapska. Ce dernier est d'ailleurs assez éloigné des coiffeurs habituelles des lanciers français... silhouette courtaude, chapiteau penché vers l'avant... il se révélera surtout totalement inadapté au tempérament et à la vocation des chasseurs d’Afrique, plus proches des hussards ou dragons que des lanciers. Les régiments demandèrent son rejet dès son introduction! Un rapport du 24 mai 1834 contient une lettre du colonel Oudinot (2ème régiment) ainsi rédigée: "Le czapska ne convient pas en Afrique. La calotte de cuir noir qui emboîte la tête le rend extrêmement chaud [en même temps il s'agit d'une coiffure slave!] Les coins empêchent les hommes armés de fusils de mettre cette arme en bandoulière."
Ils
reçurent le même armement que les chasseurs à cheval (pistolet an XIX, sabre an
XIX de cavalerie légère ainsi que la lance pour certains dit
lanciers-chasseurs (sur la planche ci-dessus, il s'agit d'un sapeur)
Cette tenue "polonaise" ne
fut portée que peu de temps. Au niveau de la coiffe, l’élégant mais encombrant czapska fur relégué en magasin et fit place à la casquette d'Afrique en 1833. Le czapska n'en demeurait pas moins la coiffure d'ordonnance jusqu’en 1841. A cette date un rapport d'Oudinot, devenu lieutenant-général établit que "le czapsa réglementaire n'est en usage dans aucun des régiments de chasseurs d'Afrique". Le 24 février 1841, le comité de cavalerie en décidait la suppression.
En fait, dès 1832, les chasseurs d'Afrique avaient reçus une casquette à plateau d'allure très futuriste pour l'époque (voir illustration ci-dessous avec la casquette d'essai à droite). Bandeau bleu de ciel, plateau garance à soutaches bleu de ciel, visière ronde à dessous vert. Ce n'est que le 25 juillet 1833 qu'ils touchèrent le premier modèle officielle dit 1833. Plusieurs modèles se succéderont en 1840, 1842, 1847, 1858 et 1862.
De même, les hommes préférèrent porter la
veste d'écurie en campagne, réservant la tunique pour la grande tenue. Enfin,
les officiers portèrent conjointement la tunique à jupe et, comble du chic, des
dolmans à brandebourgs.
Au lieu de la lance (plus gênante
qu'utile et parfaitement inadaptée aux combats de cavalerie en Algérie) et du mousqueton
de cavalerie légère, les chasseurs d'Afrique se virent équipés de fusils de
dragons, une arme d’avantage en adéquation avec leur mission.
Dans les premières années du
régime de Juillet, deux réformes - menées successivement en 1831 et 1834 -
restructurent l’arme. Comme nous l’avons vu, l’ordonnance du 19 février 1831
réorganise la composition des régiments en six escadrons afin d’accroître leur
mobilité en temps de guerre. Ils étaient tous susceptibles d’être mobilisés en
cas de guerre. En théorie, ces orientations donnent à la cavalerie une force
numérique assez puissante pour passer facilement du temps de paix au temps de
guerre. Très rapidement, ces choix sont remis en cause par la réforme de 1834
qui se traduit par la redéfinition des rôles distinctifs des escadrons. Dans la
pratique, elle était à l’origine d’une division de chaque régiment en deux
portions distinctes.
La première, active, comprenait
quatre escadrons et un état-major auxquels s’ajoutait une fraction hors rang
composée d’ouvriers de professions diverses. La seconde, de dépôt, était
composée de deux escadrons auxquels s’ajoutaient un peloton hors rang et un
état-major. Cette seconde portion alimentait la portion active en chevaux, en
hommes et en matériels.
La réforme de 1834, par rapport à
celle de 1831, entraîne une baisse accélérée des effectifs.
L’organisation de la cavalerie à
la suite de la réforme de 1834 et les diminutions des budgets successifs
entraînent directement une baisse du "complet organique" de la
cavalerie par rapport aux "complets organiques" des autres armes,
aboutissant à l’impossibilité pour les régiments de l’arme "de donner pour
la guerre plus de deux escadrons sans être complètement désorganisés".
Le nombre d’escadrons est relevé
après la création du 4e régiment de Chasseurs d’Afrique en 1839. L’ordonnance
royale du 8 septembre 1841 prévoit que le corps des Chasseurs d’Afrique se
compose de quatre régiments composés chacun de six escadrons.
Dès 1830, l’arme est chargée,
quelquefois dans le cadre d’opérations menées en collaboration avec
l’infanterie, de mener des opérations de force publique contre les populations
indigènes. Ces missions, n’ayant pas toujours un caractère stratégique,
concernent la protection des biens et des personnes. Ainsi, le 13 mars 1833,
deux officiers du 3e régiment de Chasseurs d’Afrique, en collaboration avec un
régiment d’infanterie, mettent en échec une opération menée par deux cents
cavaliers arabes et destinée à s’emparer d’un parc à bestiaux.
Il faut observer que, dès les
premières opérations de pacification, les autorités militaires comme les
autorités civiles considèrent la cavalerie comme la seule arme capable, en
raison de sa mobilité, de maintenir l’ordre à l’intérieur des terres comme l'affirmait le capitaine Tanski de la Légion Étrangère :
"Dans les plaines, la cavalerie est l’arme principale ; la plupart du
temps, elle tient seule la campagne".
C’est pour faire face à cette
situation, qu’un corps de cavalerie indigène est progressivement mis en place.
L’idée d’organiser une force publique spécifique composée d’indigènes, séparée
des corps de Spahis, voit le jour dès 1831. Un rapport rédigé par le duc de
Dalmatie, adressé au roi Louis-Philippe, témoigne des premières difficultés,
notamment la localisation géographique du recrutement : "…Le recrutement
parmi les indigènes n’offrit d’abord à l’armée d’occupation que des ressources
fort limitées… Il était conscrit dans la province d’Alger dont nous ne possédions
qu’une faible partie".
Le dey d'Alger, destitué lors de
l’arrivée des Français, dispose de « Sibahis », turcs en grande majorité. Se
trouvant sans emploi, ils se rangent en 1830 sous la bannière de Yusuf
(Youssouf) qui se met au service de la France et en fait des troupes efficaces
et redoutées, contribuant à la conquête de l’Algérie. Le mot, déformé par la
prononciation française, devient Spahi.
Ce n’est qu’à partir de 1837 que
le recrutement d’indigènes se développa à la suite de la création, par une
ordonnance royale du 12 septembre 1836, d’un corps de cavalerie indigène,
composé de quatre escadrons et appelé Spahis (réguliers).
Une double explication peut
justifier ce développement. La première est liée à la conquête de la province
d’Oran où, d’après le duc de Dalmatie, "les services militaires
irréguliers reçurent un nouveau développement par l’adjonction de cavaliers
auxiliaires, laissés à leur existence de tribu…". La seconde résulte de la
prise en compte, de l’acceptation et de la reconnaissance de la présence
française par les populations, facilitant le recrutement de cavaliers issus
d’une part de la jeunesse des villes et d’autre part des anciennes milices
turques.
|
Le chef d'escadron Legrand en 1840 |
À partir de 1841, une
clarification est souhaitée par le gouverneur général afin que les spahis
irréguliers formés sur différents points du territoire depuis 1830, auxquels
vient s’ajouter la gendarmerie maure, constituent une cavalerie indigène
assujettie à un service permanent. Elle devait être encadrée en majorité
d’officiers et de sous-officiers français. L’avancement des indigènes
permettait de reconnaître et de récompenser les services rendus. Cette
"cavalerie indigène irrégulière" formait avec les corps de spahis
réguliers un corps unique de cavaliers -ordonnance du 7 décembre 1841- dont
l’effectif global comprenait vingt escadrons regroupant 4 000 hommes. Il faut
préciser qu’après la première formation des escadrons, créés en exécution de
l’ordonnance du 7 décembre 1841, aucun cavalier indigène n’est admis dans les
escadrons de spahis, à l’exception de ceux qui souscrivent un engagement de
trois ans.
|
Marey-Monge en colonel des Spahis réguliers |
« À mon entrée au corps, les
officiers portaient le costume turc, qu’ils ont échangés, trois ans plus tard,
en 1842, contre une tenue française. Ce costume comportait la veste turque
rouge, soutachée de noir, sur le gilet bleu de roi, la large culotte bleue,
arrêtée aux genoux, la botte molle avec éperon vissé, le turban de fantaisie et
le burnous rouge. C'était très joli, quand on avait de la ligne; de la
désinvolture; mais quand on prenait du ventre, cela vous donnait tout de suite
l'air d'un marchand de pastilles de la rue de Rivoli ».
Du Barail
|
Officier des Spahis en 1845. |
La cavalerie représente une
exception par rapport aux autres armes affectées en Algérie. Cette situation
est à l’origine d’un débat qui se développe, au sein de l’état-major, dès 1840.
En effet, à la différence des régiments d’infanterie, des batteries
d’artillerie, des compagnies du génie ou même du train des équipages, les
régiments de Chasseurs d’Afrique comme les Spahis sont considérés comme des
régiments irréguliers, c’est à dire non reconnus comme constitutifs de l’arme à
laquelle ils appartiennent.
En 1840, le Comité de
l’infanterie et de la cavalerie, désireux de pallier aux problèmes d’organisation
et d’effectifs, se trouve confronté à deux options distinctes.
La première consiste à affecter
en Algérie, alternativement, tous les régiments appartenant soit à la cavalerie
de ligne, soit à la cavalerie légère. Cette option se trouve complétée par la
volonté de n’avoir en Algérie, de manière continue, que des corps spécialisés
appartenant à différentes armes et dotés d’une organisation et d’un mode de
recrutement distincts.
La seconde est l’intégration des
régiments de Chasseurs d’Afrique dans l’organisation régulière, les régiments
de Spahis restant des "corps exceptionnels et spéciaux",
c’est-à-dire dépendant de l’armée irrégulière.
Ces options, retenues par le
comité de la cavalerie en 1840, expliquent l’absence des hussards et des chasseurs
à partir de 1840, à l’exception des régiments ayant pris part à la conquête.
Cependant, ces orientations n’ont qu’une portée fort limitée car les régiments
envoyés en Afrique sont confrontés aux réalités du climat comme à un type de
guerre radicalement différent des réalités tactiques d’une guerre
continentale.
Dans sa globalité, la cavalerie
de l’armée d’Afrique est, dans un premier temps, un corps spécifique et
autonome - de l’expédition jusqu’à 1840 - par rapport à son arme comme en
témoigne l’existence des régiments spécialisés comme les Chasseurs d’Afrique et
les Spahis ; puis, après 1840, une composante de l’armée régulière à laquelle
est jumelé un corps autonome fédérant les spahis, les milices urbaines et les
différents pelotons de cavalerie constitués à travers le territoire, encadrés
par des officiers français et composés d’indigènes. La cavalerie stationnée en
Afrique présente, de 1830 à 1850, à la différence des autres armes, une
spécificité qui la différencie des régiments de cavalerie métropolitains.
Partis de Port-Vendres le 18
juillet, les 4 escadrons 2e Hussards débarquent à Oran le 20 juillet 1844 aux
ordres du colonel Joseph Gagnon (1843-1848). Le régiment gagne en Algérie le
surnom de « Lions du Désert ». Au mois d’août 1844 Bugeaud organise son armée
de 8000 hommes, puis se rend à Isly à la rencontre de l’armée marocaine, forte
de 30000 cavaliers et fantassins. Les forces françaises remportent la bataille,
l'armée marocaine déplore 800 morts, 1500 à 2000 blessés, et laisse 19
drapeaux, des canons, ses tentes (dont celle du roi et tous ses meubles), et un
immense butin. Le 2e Hussards porte la mention de la bataille d'Isly-1844 sur
son étendard.
En 1845 à Sidi Brahim le 2e
escadron du régiment srea presque anéanti au côté des chasseurs à pied du 8e
bataillon.
Ci-dessous, capitaine et vedette du 2 ème Hussards en Algérie.
Revenons à l’épisode de Sidi Brahim où le 23 septembre 1845,
eut lieu un héroïque fait d’armes dont tous les bataillons de chasseurs à pied
se glorifient, mais dont une part va également au 2e Hussards, régiment de
Chamborant, dont le 2e escadron fut présent à ce glorieux combat et devait y
trouver la mort presque en entier.
Le lieutenant-colonel de Montagnac commandait le cercle de
Djemmaa-Ghazaouat (actuellement Nemours), sur la Méditerranée, près de la
frontière marocaine).
Le 23 septembre 1845, afin de mettre de l’ordre dans des
tribus voisines qui se querellaient, il emmène avec lui le 8e bataillon de
Chasseurs d’Orléans sous les ordres du commandant Froment-Coste et le 2e
escadron du 2e Hussards sous le commandement du chef d’escadron Courby de Cognord et le capitaine Gentil de Saint-Alphonse.
La colonne se composait de : 355 officiers, sous-officiers
et chasseurs ; 67 officiers, sous-officiers et hussards ; 1 interprète, 1
ordonnance et 2 soldats du Train, soit un total de 426 hommes.
Le détachement quitte Djemaa-Ghazaouat à 9 heures du soir,
laissant la garnison sous le commandement du capitaine de Génie Coffyn.
Après une marche fatigante de 20 kilomètres, la colonne
s’arrête avant le jour, le 22 septembre.
Le lieutenant-colonel de Montagnac est inquiet ; de grands
feux ont été vus s’allumer à droite et à gauche.
Après avoir pris le café, la colonne continuera sa marche
et, à 3 heures de l’après-midi, s’arrête pour préparer la soupe et tuer les
moutons.
De nombreux cavaliers apparaissent sur les crêtes et le caïd
des Soubalia (chef de la tribu voisine de Djemmaa-Ghazaouat) prévient de
Montagnac que ce sont les partisans d’Abd-el-Kader ; il en est d’ailleurs
averti par un émissaire envoyé par le capitaine Coffyn.
Des coups de feu sont tirés sur la colonne ; le
lieutenant-colonel de Montagnac décide, malgré l’annonce de l’arrivée de
l’ennemi, de ne pas revenir en arrière.
A 23 heures, la troupe lève le camp, on allume de grands
feux pour faire croire qu’on bivouaque, mais les Arabes n’en sont pas dupes et
le 23 septembre, après une marche pénible, le bivouac est établi. Les hommes
sont harassés ; on sent que l’ennemi est proche dans lesenvirons et en nombre ;
personne ne peut dormir et se reposer.
Le 24 septembre, à 6 h 30, le lieutenant-colonel de
Montagnac donne l’ordre au commandant Courby de Cognord de monter à cheval, en
selle nue, avec ses hussards et au capitaine de Chargère de le suivre avec
trois compagnies de chasseurs. Le commandant Froment-Coste reste au camp avec
la compagnie de chasseurs Burgard et la compagnie de carabiniers du capitaine
de Géréaut.
La petite colonne de hussards et de chasseurs guidée par de
Montagnac s’engage dans un ravin et, apercevant de nombreux cavaliers qui
tiennent les crêtes, il prescrit au commandant Courby de Cognord de les
disperser.
Le commandant Courby de Cognord échelonne ses deux pelotons
; le nombre des ennemis augmente considérablement, mais au lieu de se retirer
comme d’habitude, ils résistent. La mêlée devient bientôt sanglante. Les pertes
des hussards sont sensibles, le lieutenant-colonel de Montagnac est grièvement
blessé ; le capitaine Gentil de Saint-Alphonse est tué et le lieutenant Klein,
du 2e Hussards, est blessé plusieurs fois.
Le commandant Courby de Cognord est indemne. Lancé à vingt
pas de ses pelotons, il lutte contre la horde, mais son cheval est blessé à
deux reprises : il chancelle et tombe avec son cavalier. Le hussard Testard lui
offre son cheval et rejoint ses camarades les chasseurs. Il prend au passage
les pistolets sur le cheval mort du commandant Courby de Cognord et tire sur
des cavaliers arabes qui le poursuivent. Courby de Cognord rallie les hussards
et exécute avec eux de nouvelles charges, mais la cohésion ne peut se
maintenir, de nombreux cavaliers sont démontés et se défendent en groupes ou
isolément.
De nouveaux cavaliers arabes surgissent de toutes parts. Le
commandant Courby de Cognord, ne pouvant se rabattre sur les chasseurs, trop
loin, se dirige avec ses hussards sur un mamelon. Il alors perd alors son
deuxième cheval. Le lieutenant-colonel de Montagnac, qui s’était joint aux
hussards, est de nouveau blessé.
Les trois compagnies de chasseurs veulent rejoindre le
commandant Courby de Cognord, mais n’y parviennent pas : ils sont débordés,
dispersés, anéantis. Une scène épouvantable de carnage se produit ; les
hussards et les chasseurs tombés sont décapités et leurs têtes présentées aux
survivants.
Le lieutenant-colonel de Montagnac, quoique très blessé,
envoie le maréchal-des-logis-chef Barbut, du 2e Hussards, prévenir le
commandant Froment-Coste de venir le rejoindre. Ce sous-officier est poursuivi
par plus de 300 cavaliers qui ne parviennent pas à le rattraper.
Les hussards à pied et les chasseurs se forment en carré et
cette vaillante phalange se défend courageusement. Le lieutenant-colonel de
Montagnac meurt.
Le commandant Courby de Cognord est alors frappé de trois
coups de feu et de deux coups de yatagan ; il est fait prisonnier et emmené à
cheval par un chef arabe.
Les deux autres compagnies accourues ont le même sort ;
submergés, les chasseurs se défendent avec bravoure le commandant Froment-Coste
est tué, le capitaine de Géréaut se réfugie avec ce qui reste dans le marabout
de Sidi-Brahim et repousse les assauts de l’ennemi pendant la journée du 25
septembre.
La sauvagerie des Arabes s’est assouvie sur les morts ;
après le combat, 320 cadavres sans tête jonchaient le sol dont 54 du 2e
escadron du 2e Hussards ; 90 chasseurs et hussards étaient prisonniers, tous
blessés plusieurs fois.
Le caporal Lavayssière, seul gradé restant, prend le
commandement et le 26 septembre, après de nombreux engagements avec les Arabes,
il rejoint Djemaa-Ghazaouat avec 16 survivants dont un hussard.
Le commandant Courby de Cognord fut emmené prisonnier au
Maroc et racheté après de nombreuses tractations en 1846 avec 11 autres
prisonniers dont quatre du 2e Hussards (le commandant Courby de Cognord, le
maréchal-des-logis-chef Barbut, les hussards Testard et Maetz).
Le commandant Courby de Cognord fut cité à l’ordre de
l’Armée d’Afrique avec le motif suivant :
» Commandant
l’escadron du 2e Hussards qui faisait partie de la colonne du
lieutenant-colonel de Montagnac, détruite par Abd-el-Kader à Sidi-Brahim, le 23
septembre 1845, le lieutenant-colonel de Montagnac, expirant, lui confia le
commandement des débris du 2e Hussards et du 8e bataillon de Chasseurs. Il fit
des prodiges de valeur et prolongea, contre plusieurs milliers d’Arabes, une
lutte héroïque qui ne se termina que lorsque, épuisé par de nombreuses
blessures, il tomba sans connaissance au pouvoir de l’ennemi.
» II fut fait
prisonnier avec ce qui restait de ses braves frères d’armes, souffrit
cruellement pendant un an et deux mois et ne fut rendu à la liberté que le 27
novembre 1846.
» Pour récompenser
leur bravoure, le commandant Courby de Cognord fut fait Officier de la Légion
d’Honneur et promu lieutenant-colonel ; le maréchal-des-logis-chef Barbut, les
hussards Testard et Maetz, faits Chevaliers de la Légion d’Honneur. »
En août 1846, le 2e régiment de Hussards obtint cette
citation :
» Depuis son arrivée
en Afrique, le 2e Hussards a pris part à de nombreux et brillants faits
d’armes. Il a mérité d’être cité glorieusement, même dans les désastres que son
courage ne pouvait détourner. C’est au bon esprit du corps, à l’énergie de ses
chefs et au dévouement des hussards qu’il a pu se placer au premier rang de
l’Armée d’Afrique. »
Le lieutenant-colonel Courby de Cognord fut ensuite nommé
colonel, puis général de brigade ; il commanda à trois reprises à Tarbes en
1852 la 4e brigade de la 13e division, puis la subdivision militaire en 1856 et
1859.